Comment financer la suppression totale de la taxe d’habitation
Comment financer la suppression totale de la taxe d’habitation
Par Béatrice Jérôme
Emmanuel Macron, qui s’adresse jeudi aux maires, veut changer la fiscalité locale. Plusieurs pistes sont à l’étude pour compenser la perte de recettes pour les collectivités.
Emmanuel Macron n’est pas « le Père Noël » et les élus locaux « ne sont pas des enfants », rappelle l’Elysée. En clair, le chef de l’Etat ne viendra pas, jeudi 23 novembre, les bras chargés de cadeaux, clôturer le 100e congrès de l’Association des maires de France (AMF). Mais pourra-t-il venir les mains vides, au risque de passer pour le Père Fouettard des collectivités ? Depuis l’été, les édiles reprochent au gouvernement de vouloir subrepticement garrotter leurs dépenses et juguler leur liberté de décider du montant de leurs emprunts. M. Macron va devoir laver ce soupçon d’entrave à leur autonomie financière et fiscale en tentant d’apporter des précisions sur la façon dont il entend mener l’une des réformes phares du début du quinquennat : la suppression progressive de la taxe d’habitation (TH).
L’exonération annoncée pour 80 % des ménages d’ici à 2020 de la TH est l’un des plus gros motifs d’inquiétude des maires – cet impôt assure au total 20 % de leurs dépenses de fonctionnement. Pourtant après avoir tenté en vain de s’y opposer, ils sont nombreux – quitte à devoir s’en passer – à considérer que la disparition totale serait préférable à une amputation partielle. A condition que le gouvernement leur octroie une nouvelle ressource fiscale pour la compenser.
M. Macron a lui-même ouvert la voie le 17 juillet au Sénat : « Mon souhait, c’est que nous allions plus loin parce que oui, un impôt qui serait in fine payé par 20 % de la population, ce n’est pas un bon impôt », avait-il déclaré en installant la Conférence nationale des territoires. Un impôt prélevé sur 20 % des ménages présente un gros « inconvénient, rappelait-on, mercredi, à l’Elysée. Les communes qui voudront avoir des ressources complémentaires devront faire peser la hausse de la taxe sur moins d’un quart des contribuables. Garder la TH pour 20 % des ménages ne serait pas pertinent ».
« Il y a un certain nombre de questions constitutionnelles »
Le chef de l’Etat est conscient que la réforme, en l’état, pourrait être jugée contraire au principe de l’égalité des citoyens devant l’impôt. « Je pense qu’il y a un certain nombre de questions constitutionnelles qui sont posées quand vous n’avez plus que cinq contribuables dans une commune » qui paient encore la taxe d’habitation, a fait valoir Gérard Larcher, le président du Sénat, lors d’un entretien avec M. Macron à la veille du congrès de l’AMF.
Dès juillet, le président de la République avait assorti l’annonce de la suppression de la TH de la promesse d’une refonte de la fiscalité de l’Etat et des collectivités pour dégager une ressource de substitution.
Il compte sur le rapport que doit lui remettre en avril un groupe de travail piloté par Alain Richard, sénateur (La République en marche) du Val-d’Oise, et Dominique Bur, ancien patron de la Direction générale des collectivités locales, pour trouver la solution. La lettre de mission adressée le 11 octobre par Edouard Philippe au tandem Richard-Bur est claire : « Il vous est demandé d’envisager un scénario consistant à supprimer intégralement la TH, à terme, et de compenser cette réforme via une révision d’ensemble de la fiscalité locale », écrit le premier ministre. Ce groupe de travail composé d’élus et de hauts fonctionnaires travaille sur plusieurs pistes.
Bonneteau fiscal
L’une d’entre elles pourrait être de transférer aux communes et aux intercommunalités une part d’impôt sur le revenu. Interrogé en marge du congrès de l’AMF, M. Richard rappelle que les régions « ont reçu un point de TVA » dans le projet de loi de finances pour 2018. Les départements pourraient prétendre avoir une autre ressource fiscale de l’Etat telle qu’une part de CSG « ou plutôt de CRDS [contribution pour le remboursement de la dette sociale] qui ne finance pas directement les dépenses sociales », précise-t-il. « Si on enlève la TVA et la CSG, qui sont déjà prises, si j’ose dire, il ne reste que l’impôt sur le revenu », poursuit l’ancien ministre de la défense de Lionel Jospin. Si le gouvernement choisissait d’affecter une part de l’impôt sur le revenu aux communes, « il faudrait créer le même jour un instrument de péréquation, pour éviter les effets pervers », poursuit M. Richard. Sans quoi, les villes dont la population modeste s’acquitte peu de cet impôt seraient pénalisées par rapport à celles dont les habitants sont plus aisés.
Hormis le transfert d’une partie de l’impôt sur le revenu, M. Richard évoque une autre piste : si les départements reçoivent une part de CSG ou CRDS, « on peut faire redescendre vers les communes une partie de la taxe foncière » qui leur est actuellement attribuée.
Avant de prendre le risque de s’engager dans ce jeu de bonneteau fiscal, M. Macron va devoir résoudre un autre casse-tête : trouver une ressource fiscale qui compense intégralement le produit de la TH en 2020. L’exécutif estime que la suppression de la TH pour 80 % des foyers coûtera 10 milliards à l’Etat « Le dégrèvement se fera en 2018 et 2019 sur la base du taux de 2017 », précise l’Elysée. Mais M. Macron devait rappeler jeudi devant les maires qu’ils garderont leur liberté de faire évoluer le taux de la TH et donc son produit d’ici à 2020.
18 milliards d’euros à trouver
L’Etat compensera-t-il intégralement le produit de la TH, y compris sa hausse ? Le flou demeure sur ce point. « Un dispositif sera mis en place pour responsabiliser financièrement les collectivités locales vis-à-vis des hausses des taux de TH qui auront été votées après 2017 », se contente d’expliquer l’Elysée. Passer de 80 % à 100 % de foyers exonérés de cette taxe coûterait 8 milliards d’euros supplémentaires à ce stade. Au bas mot, l’Etat devrait donc trouver 18 milliards d’euros d’ici à 2020. A titre indicatif, la part de taxe foncière sur le bâti que perçoivent les départements s’élève à 14 milliards d’euros. Transférer cette manne aux communes ne comblerait pas le manque à gagner.
« Nous avons un éventail de solutions, mais ça ne diminue pas la difficulté de la tâche ! », reconnaît M. Richard qui n’en espère pas moins voir « intégrer ses conclusions dans le projet de loi de finances pour 2019 ». Prudente, une source à l’Elysée évoquait l’hypothèse, mercredi, que ce grand chamboule-tout fiscal soit mis en place au plus tôt en 2020.