La Belgique veut réduire l’influence de l’Arabie saoudite sur sa communauté musulmane
La Belgique veut réduire l’influence de l’Arabie saoudite sur sa communauté musulmane
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
Le statut de la Grande Mosquée de Bruxelles est contesté : la volonté de la diplomatie belge est de rompre une convention qui lie les deux Etats depuis 1969.
Le minaret de la Grande Mosquée de Bruxelles, le 3 octobre 2017. / EMMANUEL DUNAND / AFP
La diplomatie belge a entrepris récemment une opération délicate pour tenter de « déradicaliser » le culte musulman dans le pays : une délégation s’est rendue à Riyad avec l’objectif de rompre une convention qui lie les deux Etats depuis 1969. Cet accord, conclu alors à l’initiative des deux familles royales régnantes, avait confié aux Saoudiens les clés du Pavillon oriental, un vaste bâtiment dans le quartier européen de Bruxelles, devenu le siège de la Grande Mosquée de la ville.
Ce bail, établi pour 99 ans en principe, a permis au régime saoudien d’assurer un contrôle direct sur une partie de la communauté musulmane belge, au travers de ce lieu très fréquenté et du Centre islamique et culturel (CICB), son bras administratif, lié à la Ligue islamique mondiale qui le finance en grande partie. Entre 1978 et 1998 (date de la création d’un Exécutif des musulmans), le CICB a été le seul interlocuteur des autorités publiques. Sous son égide, un réseau de librairies, de centres d’enseignement et de lieux de formation diffusant un message radical, auprès de jeunes notamment, s’est progressivement implanté. Le CICB pouvait aussi sélectionner les professeurs de religion, pour un culte enseigné dans les écoles depuis sa reconnaissance officielle en 1974.
Le développement du terrorisme islamiste pousse désormais le monde politique belge à réagir face aux ingérences étrangères. Après avoir délégué la gestion du culte musulman à l’Arabie saoudite – et en partie aussi à la Turquie et au Maroc –, les autorités publiques veulent en reprendre le contrôle. Une commission parlementaire, constituée après les attentats de Paris en novembre 2015 et de Bruxelles en mars 2016, a formulé une série de recommandations, dont celle d’endiguer le « salafo-wahhabisme » diffusé, selon les députés, à partir de la Grande Mosquée. Les conclusions du rapport évoquent « un danger pour l’Etat de droit », alimenté par un courant qui contient des « ferments » et des « catalyseurs » du repli communautaire et de la polarisation de la société.
Assurer « la transparence »
Auditionnés par les députés, deux responsables de la Grande Mosquée ont livré un témoignage très ambigu sur le respect, par leur organisation, des principes de la Constitution belge et de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils ont aussi promis de chercher à obtenir une reconnaissance officielle, ce qui entraînerait un financement de leurs imams par l’Etat en échange d’un accroissement du contrôle exercé par les autorités. Jusqu’ici, aucune demande n’a cependant été introduite.
De quoi renforcer la conviction des députés, même s’ils n’ont produit aucune preuve directe d’incitation à la haine lors des prêches. Interrogés à l’issue d’une récente prière du vendredi, de nombreux fidèles, quant à eux, démentent l’existence de dérives salafistes, même si un imam a récemment fait l’objet d’une procédure d’expulsion.
Soumise à la pression des élus, la diplomatie belge doit, en tout cas, agir. Des médias arabes ont révélé une récente entrevue entre un responsable de l’antiterrorisme et le cheikh Mohammed Ibn Abdulkarim Al-Issa, le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale. Une autre réunion a eu lieu entre le secrétaire général du ministère belge des affaires étrangères et le ministère saoudien des affaires islamiques. Selon Arab News, celui-ci a « offert son aide » pour la formation des imams dans les mosquées et les centres islamiques.
Un conseiller du ministère saoudien a souligné « le rôle important » du CICB dans le renforcement des relations entre les deux Etats, ainsi que les nombreux échanges économiques entre ceux-ci. L’accord de 1969 avait d’ailleurs aussi été dicté par la volonté de la Belgique d’assurer son approvisionnement pétrolier. Riyad reste, par ailleurs, un client majeur du secteur wallon de l’armement et a de grands projets d’investissement dans le port flamand d’Anvers.
Sans doute désireux d’afficher la fermeté du gouvernement dont il fait partie, Theo Francken, le secrétaire d’Etat à la migration, a tweeté vendredi 17 novembre, qu’il refuserait désormais toute « importation » d’imams. « Je ne les laisserai plus entrer, l’influence étrangère doit diminuer, pas augmenter », a indiqué cette figure de la N-VA, le parti nationaliste flamand.
Dans la foulée, le ministère des affaires étrangères a répondu très diplomatiquement qu’« il n’entrait pas dans les intentions » de la Belgique « d’approfondir la proposition » saoudienne sur l’organisation du culte musulman. Bruxelles entend, en revanche, assurer « la transparence » sur le financement de ce dernier. Et ouvrir la Grande Mosquée de la capitale à « tous les courants » de l’islam.