Mort du baryton russe Dmitri Hvorostovsky
Mort du baryton russe Dmitri Hvorostovsky
Par Philippe-Jean Catinchi
Le baryton originaire de Sibérie, qui a connu une ascension fulgurante sur les plus grandes scènes du monde, est décédé à Londres le 22 novembre, à l’âge de 55 ans.
Dmitri Hvorostovsky à New York, le 6 février 2007. / SHIHO FUKADA/AP
Luttant depuis deux ans et demi contre la tumeur au cerveau qui l’a emporté, le baryton russe Dmitri Aleksandrovitch Hvorostovsky est mort près de son domicile londonien, le 22 novembre à l’âge de 55 ans. Dans la Sibérie où il grandit, il est né à Krasnoïarsk le 16 octobre 1962, Dmitri bénéficie de la politique culturelle menée alors qui voit la multiplication des théâtres, conservatoires, salles de concert et musées sur un territoire jusque-là négligé. Cela le marque si profondément qu’il s’en fera l’ambassadeur vantant les « forêts obscures et les fleuves sauvages » comme il défendra le patrimoine musical russe, savant et populaire, lyrique et mélodique. Ses parents sont tous deux scientifiques et aiment la musique : le père, Aleksandre, ingénieur chimiste, joue du piano, la mère, Ludmilla, gynécologue, a une voix de soprano et Dmitri naturellement se met au clavier comme au chant choral. Si l’adolescent, bagarreur et prêt à « mal tourné », se rêve sculpteur ou footballeur, ses dispositions naturelles le conduisent à fréquenter vers 14-15 ans un collège spécialisé qui le destine à être chef de choeur.
Dmitri Hvorostovsky.RIGOLETTO."Cortigianni vil razza"
Durée : 05:43
Diplôme en poche, et comme son potentiel de soliste est jugé exceptionnel, il intègre à 17 ans la classe de Ekaterina Konstantinova Yoffel, qu’il considère comme un « hypnotiseur », tant elle sait le mettre en conditions pour chanter au mieux. Et dans sa propre voix. Lui qui se
voudrait ténor, promis aux rôles brillants et de premier plan, doit se résigner à être baryton, « la voix des vieux pères et des maris plaqués », se plaisait-il à résumer, une fois sa désillusion admise.
Un phrasé savant et une projection émotionnelle
Le jeune homme apprend le contrôle de sa respiration, un phrasé savant et une projection émotionnelle qui lui permettent d’atteindre une excellence très précoce dans une tessiture de baryton où les éclosions sont d’ordinaire plus tardives. Après l’Ecole supérieure des arts, la troupe de l’Opéra d’État de Krasnoïarsk. C’est là qu’il débute à 22 ans, dans le rôle du chevalier Marullo, dans Rigoletto de Verdi. Mais c’est le concours Glinka, compétition de chant la plus importante de l’URSS que Hvorostovsky remporte en 1987, qui lance réellement sa carrière. La présidente du jury, la mezzo-soprano Irina Arkhipova, lui conseille de participer au concours international de chant de Toulouse comme au BBC Singer of the World de Cardiff.
Le jeune homme obtempère bien sûr et remporte les deux compétitions, respectivement en 1988 et 1989, où, interprétant « Eri tu » d’Un ballo in maschera de Verdi, il supplante le « régional de l’étape », l’impressionnant Bryn Terfel. Si Dmitri Hvorostovsky renonce à présenter le Concours Tchaïkovski, sésame absolu dans son pays d’origine, sa carrière est d’ores et déjà internationale. Un agent, une maison de disques (Philips) qui mise sur l’artiste à la prestance aussi séduisante que son timbre, et le promeut comme une rock star : tout se met en place pour la nouvelle idole slave que d’aucuns comparent tant à Noureev et Baryshnikov qu’à Elvis Presley jeune !
Mais le chanteur n’est pas impatient. Deux années consacrées surtout au récital – à Londres puis New York – permettent à sa voix de mûrir et de respecter une tradition nationale où les apprentissages de l’opéra et de la mélodie vont de paire. Il incarne certes le prince Yeletski dans La Dame de Pique de Tchaïkovski que programme l’Opéra de Nice dès 1989 et se produit bientôt à la Fenice comme à Covent Garden, au Châtelet et à la Scala, mais la gestion des rôles reste sage, sinon prudente. Sa voix racée et puissante, élégante et flexible en fait un interprète idéal du rôle-titre d’Eugène Onéguine (Tchaïkovski), des personnages verdiens Rodrigo de Posa (Don Carlos), Luna (Il Trovatore) ou Giorgio Germont (La Traviata), mais la couleur plus sombre que prend son timbre lui autorise d’oser incarner le héros mozartien de Don Giovanni, « le sommet absolu du théâtre musical de tous les temps » selon lui.
L’artiste célèbre la fraternité qui lui tient à cœur
Le jeune premier a pris goût aux rôles sombres, de méchants haïs par le public. Renato
d’Un ballo in maschera ou Iago d’Otello… Jouant sous la direction des plus grands, Haitink, Levine, Harnoncourt, Guerguiev, Bychkov, donnant la réplique à Renée Fleming, Sondra Radvanovsky, Anna Netrebko, comme Samuel Ramey, Pavarotti ou Jonas Kaufmann, Hvorostovsky dut brutalement interrompre sa carrière en juin 2015, quand on lui diagnostiqua une tumeur inopérable au cerveau.
Si les projets lyriques furent abandonnés, le traitement menaçant l’équilibre du chanteur, le baryton revint courageusement sur scène pour quelques récitals et fêter au Kremlin en décembre 2016 le dixième anniversaire de « Hvorostovsky and Friends », moment privilégié où l’artiste célèbre la fraternité qui lui tient à cœur. Après une reprise prudente à Toronto en récital le 25 avril 2017, Hvorostovsky décide de participer à la célébration du 50e anniversaire du Lincoln Center au Met début mai où, interprétant un air-phare de Rigoletto, il reçoit une ovation historique.
Ses dernières prestations furent russes : Le 27 mai à Saint-Petersbourg pour célébrer
l’anniversaire de la ville, puis le 2 juin, dans sa ville natale de Krasnoïarsk, dont il devint ce jour citoyen d’honneur après avoir donné deux airs du Démon d’Anton Rubinstein et d’Aleko de Sergueï Rachmaninov. Rien d’étonnant à ce que le Kremlin ait, dès l’annonce du décès de ce chanteur si profondément attaché au patrimoine national classique comme contemporain déploré « une très lourde perte ». Une formule que reprendront tous les mélomanes.
Dmitri Hvorostovsky en quelques dates
1962 : 16 octobre Naissance à Krasnoïarsk (URSS)
1989 : Remporte le « BBC Singer of the World » de Cardiff
1991 : Débuts à La Fenice dans Eugène Onéguine
1995 : Débuts au MET dans La Dame de Pique
2010 : Débuts aux Arènes de Vérone dans Il Trovatore
2015 : Interruption de sa carrière lyrique en raison d’une tumeur cérébrale
2017 : 22 novembre Mort à Londres