Harcèlement sexuel : « Les relations de travail sont propices aux relations d’emprise »
Harcèlement sexuel : « Les relations de travail sont propices aux relations d’emprise »
Me Agnès Cittadini, avocate spécialiste du droit du travail, a répondu aux questions de nos lecteurs sur le harcèlement sexuel dans le milieu professionnel.
Agnès Cittadini, le 24 novembre, à Paris. / Vassili FEODOROFF / Le Monde
Quand commence le harcèlement au travail ? Comment le signaler ? Comment se défendre ? Me Agnès Cittadini, avocate spécialiste du droit du travail, a répondu à vos questions sur le harcèlement sexuel dans le milieu professionnel dans le cadre d’une journée spéciale organisée sur Le Monde.fr.
CG64 : Quand commence le harcèlement au travail ?
Agnès Cittadini : Le harcèlement sexuel peut être aussi environnemental, proférer des propos ou des blagues à caractère sexuel, consulter des sites pornographiques au travail ou avoir un comportement à connotation sexuelle rentre dans la définition du harcèlement sexuel. Même si aucune salariée n’est nommément visée, elle est victime d’un environnement de travail fortement connoté sexuellement, ce qui est proscrit.
Même si d’apparence, la salariée semble participer à ce genre d’ambiance, il faut tenir compte du fait que rire ou tenir soi-même des propos de cette teneur peut être le signe d’une gêne, d’un mécanisme de défense ou de volonté d’intégration au groupe. Le seul moyen de ne pas avoir à analyser la signification du comportement de chacun est d’interdire purement et simplement les ambiances à connotation sexuelle.
Anonyme : Lors d’un job d’été, un collègue m’a fait des avances, mais je n’étais pas intéressée et j’ai refusé de lui donner mes coordonnées. J’ai pourtant reçu quelques mois plus tard plusieurs messages de sa part, disant que mon ancien patron lui avait donné mon CV, avec mes coordonnées. Ai-je bien raison de penser que mon ancien employeur avait tort de les lui avoir données ?
AC : Oui, l’employeur n’est pas censé communiquer les données personnelles relatives à ses salariées, la prévention du harcèlement sexuel au travail de la part de l’employeur passe aussi par la protection de la vie privée des salariés.
Pour ce fait précis, si la relation de travail avait toujours été en cours, l’employeur aurait pu être accusé d’avoir failli à son obligation de sécurité. Dans la mesure où vous n’êtes plus en poste, il apparaît plus délicat d’attaquer votre ancien employeur pour ce comportement, en dehors de l’exécution du contrat de travail.
Adrien : Bonjour, est-il toujours possible de draguer au travail ? Ou est-ce définitivement proscrit ?
AC : Les tentatives de séduction doivent occasionner chez son interlocuteur un intérêt certain, si un homme tente de séduire une collègue de travail, mais qu’il n’y a aucun répondant de sa part voire un refus explicite, ce comportement bascule dans le harcèlement.
Coco : Comment faire pour ne pas être « placardisé.e » après avoir dénoncé un harcèlement sexuel au travail ?
AC : Il faut très rapidement pouvoir s’entourer, se confier à des proches, mais aussi surtout à la médecine du travail et aux institutions représentatives du personnel s’il y en a. Malheureusement, on constate que bien souvent, la victime de harcèlement qui dénonce les faits finit par perdre son emploi pour des raisons qui peuvent être diverses : soit liées à la dégradation des conditions de travail, soit par le biais d’une faute trouvée opportunément.
Dans ces conditions, il faut réussir à constituer – en étant toujours en poste – un dossier et aussi pouvoir trouver un soutien psychologique et juridique pour maintenir à tout prix une relation de travail dans des conditions normales. Tous les soutiens mentionnés plus haut (médecine du travail, syndicats, collègues) peuvent agir en amont en soutenant la victime dans ses démarches.
Marla : Une amie a été invitée par son supérieur dans son bureau et ce dernier lui a demandé une fellation. Il n’y a pas eu d’usage de la force, mais peut-on parler d’agression ou de viol tout de même ?
AC : Si l’acte a eu lieu, il s’agit d’un viol, qualifié pénalement comme un acte de pénétration sexuelle par violence, contrainte, menace ou surprise. La fellation est un acte de pénétration. Le fait pour un supérieur hiérarchique d’user de sa position vis-à-vis d’une subordonnée constitue une contrainte. La scène décrite – bloquer la salariée dans une salle, seule – pourrait également s’apparenter à une surprise.
Malheureusement, il est souvent très difficile de faire reconnaître ces circonstances par les services de police ou les juridictions. Il arrive que certaines infractions à caractère sexuel soient produites uniquement grâce à la relation d’emprise que l’agresseur réussit à créer vis-à-vis de la victime, de sorte que cette dernière rencontre énormément de difficultés à se défendre. Les relations de travail sont propices aux relations d’emprise, dans la mesure où la dépendance économique d’un salarié vis-à-vis de son employeur va le pousser au silence.
Livia : On parle souvent de harcèlement au travail par les collègues mais il y a aussi le harcèlement par les clients. Et c’est parfois plus difficile à dénoncer.
AC : A partir du moment ou ce harcèlement est vécu sur le lieu de travail, l’employeur est responsable. Il doit assurer la sécurité de ses salarié.e.s, même si les faits sont occasionnés par un tiers extérieur à l’entreprise.
Les conséquences économiques ne peuvent pas être mises sur un pied d’égalité avec les conséquences sur la santé, même s’il s’agit souvent de la stratégie choisie par l’employeur.
Morgane : À quel moment un compliment de la part d’un collègue peut-il être considéré comme du harcèlement ?
AC : Lorsque ce genre de propos est systématique, et répétitif, il ne se justifie plus. Si la personne en reste à ce type de phrase anodine, à de rares occasions, il s’agit de rapports humains normaux. De mon expérience, les cas de harcèlement sexuel au travail commencent par ce type de propos, qui plus ou moins rapidement vont aller de plus en plus loin.
Ema : Comment réagir face à la connaissance que des stagiaires dans le monde de la recherche subissent des gestes douteux et déplacés de la part de leurs encadrants ?
AC : Il est toujours important de pouvoir apporter son soutien à une victime qui se trouve souvent démunie pour engager des démarches, et psychologiquement affaiblie. Un accompagnement – auprès de l’employeur pour signaler la situation, pour déposer plainte au pénal, ou pour rédiger un témoignage en faveur de la victime – peut être d’une grande aide. Il est important que les victimes ne restent pas seules et puissent être entourées de personnes susceptibles de les aider à mettre fin à la situation ou témoigner de ce qu’elles ont vu.
Les témoignages indirects sont également pris en compte par les juridictions, parmi le faisceau d’indices que l’on peut verser dans un dossier, le fait de s’être confié à des tiers constitue l’un des éléments qui peut établir un fait de harcèlement.
OlivierE : Les syndicats ne communiquent pas (ou peu) sur le sujet, est-ce de leur compétence ?
AC : Il est dans la compétence des syndicats de communiquer sur ce sujet. D’une manière générale, les institutions représentatives du personnel ont un rôle très important à jouer dans l’entreprise, notamment les délégués du personnel et les CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité des conditions de travail).
S’il n’y a pas assez de communication de leur part, c’est parce qu’il y a encore beaucoup à faire dans l’entreprise pour former le personnel et ses représentants à ces questions. Ce type de dossier implique généralement des enquêtes assez lourdes, une connaissance du sujet, et des capacités relationnelles qui vont permettre à chacun de témoigner librement et sans peur.