Late shows, le grand déballage
Late shows, le grand déballage
Par Antoine Flandrin
Aux Etats-Unis, les révélations sur les affaires d’agression sexuelle se succèdent dans ces émissions de divertissement.
L’affaire Weinstein continue d’emporter sur son passage les vedettes du petit écran les unes après les autres. Stephen Colbert, présentateur du « Late Show » sur CBS, ne s’est pas trompé en comparant le flot des allégations de harcèlement sexuel à la « saison des ouragans ». « Et quelques figures imposantes ont été renversées récemment », a ajouté l’humoriste, le 21 novembre.
La veille, Charlie Rose, 75 ans, monument de la télévision aux Etats-Unis, avait été licencié par ses employeurs, les chaînes CBS et PBS, après avoir été accusé de comportements déplacés par huit femmes. Un nouveau scandale qui a immédiatement déclenché un concert d’indignations sur les chaînes de télévision américaines. Les animatrices Gayle King et Norah O’Donnell, qui présentaient aux côtés de Charlie Rose « CBS This Morning », depuis 2012, ont immédiatement condamné ses actes, sur le plateau de leur émission d’information matinale. « Permettez-moi d’être très claire : il n’y a aucune excuse pour ce comportement présumé », insistait Norah O’Donnell, qui ne cachait pas sa colère.
de harcèlement dont ils ont été victimes
Le soir même, Gayle King était l’invitée de Stephen Colbert, sur le plateau du « Late Show ». Connu pour son humour grinçant, l’animateur gardait pour une fois son sérieux, se disant très fier que CBS ait traité « de façon objective » les accusations contre Charlie Rose. « Ça me fait beaucoup de peine, lui répondait Gayle King. Vous savez, Charlie et moi, nous avons travaillé ensemble, été amis. Mais quand vous pensez à l’angoisse de ces femmes, malgré l’amitié, vous devez signaler l’information. »
Si la chaîne CBS s’est voulue exemplaire dans le traitement de l’affaire Rose, il s’agissait également de se démarquer de son concurrent Fox News, particulièrement indulgent envers ses présentateurs vedettes, Bill O’Reilly et Sean Hannity, tous deux mêlés à des scandales sexuels. Fox News ne s’est séparé de M. O’Reilly qu’en avril 2017, lorsque celui-ci a été poursuivi une sixième fois en justice pour harcèlement sexuel.
Vilipendé par ses confrères, Charlie Rose fait désormais l’objet de moqueries, après que plusieurs femmes l’ont accusé de s’être promené nu devant elles. L’animateur du « Tonight Show », l’humoriste Jimmy Fallon, a ainsi imaginé comment les dirigeants de CBS ont demandé à leur animateur « de remonter son pantalon et de prendre la porte ».
« Prédateurs sexuels qui se ressemblent s’assemblent »
« Normalement quand quelqu’un d’aussi vieux se balade tout nu, des infirmiers s’empressent de le ramener dans sa chambre », a raillé Seth Meyers, présentateur du « Late Night » sur ABC. L’humoriste n’a pas raté l’occasion de rappeler que Donald Trump a été accusé d’attouchements sexuels par « neuf femmes pendant la campagne présidentielle » [seize femmes à ce jour]. Droit dans ses bottes, le président américain a pris, le 21 novembre, la défense d’un magistrat ultra-conservateur, Roy Moore, candidat républicain au Sénat, accusé d’avoir agressé sexuellement plusieurs adolescentes dans les années 1970. « Prédateurs sexuels qui se ressemblent s’assemblent », a persiflé Seth Meyers.
De nombreux ténors républicains, qui encouragent M. Moore à ne pas se retirer de l’élection sénatoriale, reprochent aux chaînes de télévision de faire fi de la présomption d’innocence. « Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable. Cela vaut pour les condamnations pénales, pas les élections », a ainsi déclaré l’ancien gouverneur républicain du Massachusetts Mitt Romney, sur Twitter.
Depuis plus d’un mois, les talk-shows, suivis par des millions d’Américains, n’ont cessé de commenter les accusations de harcèlement et d’agressions sexuels contre l’acteur Kevin Spacey, l’humoriste Louis C. K. ou encore le sénateur Al Franken. La concurrence étant rude, ces émissions invitent désormais des acteurs de série B à raconter les expériences de harcèlement dont ils ont été victimes.
« Est-ce bien lui ? »
Connu pour avoir joué pendant son enfance dans Les Goonies, Corey Feldman dénonce depuis plusieurs années la pédophilie qui sévit dans le milieu du cinéma à Hollywood. Après avoir longtemps tu les identités des deux hommes qui ont abusé de lui sexuellement, il y a plus de trente ans, l’acteur a finalement accepté de les révéler, le 13 novembre, sur le plateau d’un talk-show dénommé « The Dr. Oz Show ». Privilégiant une mise en scène sensationnaliste, le présentateur Mehmet Oz a montré à Corey Feldman une photo de l’un de ses agresseurs, avant de lui demander : « Est-ce bien lui ? ». Après que l’acteur a acquiescé, Mehmet Oz a alors posé la question fatidique : « Puis-je révéler son nom à l’Amérique ? » Un moment de télévision improbable qui a été abondamment relayé sur les réseaux sociaux.
Dans la foulée, Terry Crews, ancien joueur de footballeur américain reconverti dans les séries B, s’est présenté, le 15 novembre, sur le plateau de « Good Morning America », sur ABC, pour raconter comment un agent hollywoodien lui avait touché les parties génitales lors d’une fête en 2016. L’acteur a rejoué la réaction de dégoût qu’il a eue sur le moment.
Comme les milieux de la politique et du cinéma, l’industrie de la télévision est ébranlée par cette cascade de révélations. Pour certaines chaînes, l’impact sur le plan financier n’est pas négligeable. Celles qui ont dû mettre fin aux contrats de leurs animateurs vedettes craignent de perdre des parts d’audience. Certains projets ont également été interrompus : Netflix a ainsi suspendu la production de House of Cards suite aux accusations de harcèlement sexuel contre Kevin Spacey. La saison des ouragans n’a pas fini de faire des dégâts.