Harcèlement sexuel à Nollywood : les victimes sortent timidement de leur silence
Harcèlement sexuel à Nollywood : les victimes sortent timidement de leur silence
Par Mélanie Gonzalez (contributrice Le Monde Afrique, Abuja)
Sans surprise, l’univers cinématographique nigérian n’est pas épargné par le fléau. Mais la libération de la parole y est plus lente qu’ailleurs.
Après quelques semaines de mutisme, l’onde de choc de l’affaire Weinstein a fini par atteindre Nollywood. La deuxième industrie cinématographique du monde – après l’indienne Bollywood – n’est pas épargnée par le chantage sexuel, mais les révélations sortent au compte-gouttes. Si les Nigérianes, pourtant férues de réseaux sociaux, se sont bien gardées d’afficher le hashtag #MeToo dans leur fil d’actualité, quelques langues se délient dans le milieu cinématographique.
Le 21 novembre, une certaine Eniola Omoshalewa Eunice dépose plainte auprès du ministère des affaires féminines, qui se charge de faire le relais auprès de la police. Le comédien Yomi Fabiyi, prix du meilleur acteur yoruba aux Best of Nollywood Awards 2016, est accusé de chantage sexuel pour des faits remontant à 2008. « Il m’a dit que nous devions coucher ensemble avant qu’il puisse faire de moi une vedette. Il a ajouté que c’était une chose normale pour les actrices », révèle l’auteure de la plainte, précisant que Yomi Fabiyi était alors producteur pour Lagos Television (LTV).
Dénoncer une acceptation tacite
L’acteur a formellement démenti les accusations : « Cette personne n’est pas du milieu, et je n’ai jamais eu affaire à elle. Elle veut juste attirer l’attention. Je n’étais même pas producteur il y a neuf ans. » Dans la foulée, une seconde accusation surgit, pointant cette fois-ci l’acteur chevronné Yemi Solade, 57 ans, accusé lui aussi de chantage sexuel par une actrice en devenir. « Je suis trop vieux pour répondre à ces dames en quête de célébrité », a rétorqué ce dernier. L’affaire, aux mains de la police, en est pour l’instant restée là.
« Ces femmes-là n’ont jamais percé dans le milieu, elles n’ont rien à perdre », estime-t-on au ministère des affaires féminines. Pour les autres, il faudra attendre encore avant de voir tomber des noms. De nombreuses actrices se sont récemment confiées à la fondation Thomson Reuters, dénonçant une acceptation tacite et un harcèlement sexuel inévitable dans l’industrie cinématographique nigériane, qui pèse 3,3 milliards de dollars et produit des dizaines de films chaque semaine.
« A Hollywood, vous pouvez toujours aller chercher un autre emploi, note l’actrice nollywoodienne Eeefy Ike. Au Nigeria, c’est plus compliqué. Il y a plus de pression sur les femmes pour qu’elles couchent avec des hommes puissants. » La comédienne déplore par ailleurs l’absence de loi en matière d’agression sexuelle.
« Au Nigeria, la lutte contre le viol est de l’ordre de zéro », confirme l’actrice Dorothy Njemanze. Après quinze ans d’expérience à Nollywood, la comédienne est formelle : « Beaucoup de gens abusent de leur position et demandent des faveurs sexuelles. J’ai dû refuser des emplois, sortir des plateaux de tournage. »
La « corruption par le sexe »
La star Annabella Zwyndila, habituée aux premiers rôles, confie son expérience à la presse nigériane : « J’ai vécu une expérience terrible quand un producteur m’a appelée dans sa chambre d’hôtel et a essayé de coucher avec moi contre un rôle dans son film. Bien sûr, j’ai refusé. Il s’est fâché et a commencé à me demander pour qui je me prenais, me disant qu’il avait couché avec bien des vedettes. Il a même sorti toutes sortes de noms. Il m’a dit que je n’étais rien qu’une petite fille et qu’il voulait faire de moi une star », témoigne l’actrice dans une interview au quotidien Vanguard.
« J’ai connu des acteurs, des producteurs et des réalisateurs qui m’ont fait des avances, mais ce n’était pas du harcèlement sexuel à mon sens », estime de son côté l’étoile montante Andrianna Adebiyi, qui confie toutefois avoir été écartée d’un rôle au cinéma après son refus d’accéder aux avances d’un réalisateur.
La réalisatrice aux multiples récompenses Mildred Okwo dénonce, elle, un autre phénomène, la « corruption par le sexe », n’hésitant pas à renvoyer la balle aux actrices offrant délibérément des rapports sexuels en échange de rôles et d’une montée rapide dans le milieu. « Ne vous plaignez pas de harcèlement sexuel si vous êtes à l’origine de la conduite », sermonne-t-elle sur Twitter, avant de nuancer : « Cette manie qu’ont les producteurs de faire du chantage à leurs acteurs doit cesser. »
Un mois avant que n’éclate l’affaire Weinstein, Emeka Rollas Ejezie, président de la Guilde des acteurs du Nigeria (AGN), avait exprimé sa volonté de mener une guerre contre le harcèlement sexuel à Nollywood. Une déclaration restée lettre morte à ce jour.
Bannie à vie
Du côté de Kannywood, la version haoussa de Nollywood, la fin de l’impunité est encore loin. La loi du silence qui prévaut et la pression que fait peser sur les actrices cette branche de l’industrie cinématographique régie par la charia appliquée dans les Etats musulmans du nord du pays est énorme.
En mars 2015, la star kannywoodienne Rahama Sadau, alors âgée de 21 ans, avait eu le courage de dénoncer le chantage sexuel auquel s’adonnait alors le producteur Adam Zango, expliquant sur son compte Instagram que ce dernier l’aurait exclue de son film Duniya Makaranta après qu’elle ait refusé de céder à ses avances : « Décliner ton amour ne va pas me déchoir. JE SUIS RAHAMA SADAU, et je n’ai pas eu besoin de toi pour arriver là où j’en suis. »
Adam Zango avait démenti les accusations dans le quotidien Premium Times, se déclarant « affligé qu’une jeune fille qui vient de commencer dans l’industrie ait l’audace de raconter un tel mensonge » et qualifiant l’actrice de « peu professionnelle » et de « peu douée pour le travail d’équipe ».
L’affaire était vite remontée à la Motion Pictures Practitioners Association of Nigeria (Moppan), l’organisation qui contrôle l’industrie du cinéma haoussa. Sous la pression de la Moppan et d’une campagne de lynchage médiatique, Rahama Sadau s’était confondue en excuses publiques, regrettant son attitude « enfantine, irrespectueuse et stupide ».
Une contrition qui n’avait pas été jugée suffisante, puisque l’organisation s’était empressée de suspendre l’actrice durant six mois au prétexte qu’elle avait « violé le règlement » et s’était « adonnée à du sabotage en claquant la porte au beau milieu d’une production ». Mais il est fort probable que la jeune femme ait été tout simplement congédiée par le producteur, qui s’est ensuite abrité sous le parapluie de l’association professionnelle. Une sanction unanimement applaudie à Kannywood et qualifiée de « bonne leçon » pour toutes les actrices.
Mais l’actrice a dû boire la coupe jusqu’à la lie : en octobre 2016, la Moppan l’a finalement bannie à vie des plateaux de tournage du cinéma nordiste pour avoir « touché un homme » dans un clip romantique tourné dans le sud du pays avec le chanteur Classiq. Un geste jugé « immoral ». Au pays de la charia et du cinéma, la faute revient à la victime.