« Militantes, nous dénonçons les violences sexistes et sexuelles à l’UNEF »
« Militantes, nous dénonçons les violences sexistes et sexuelles à l’UNEF »
Par Collectif
Dans une tribune au « Monde », 83 adhérentes dénoncent le « véritable contrôle du corps des femmes » qu’ont imposé les dirigeants du syndicat étudiant depuis de nombreuses années.
[Le Monde publie une tribune signée par quatre-vingt-trois femmes, anciennes syndicalistes de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), dénonçant le sexisme et les comportements violents dont elles ont été l’objet ou ont eu connaissance au sein du mouvement. Simples militantes, responsables de section locale et cadres de l’organisation, elles sont majoritairement issues de régions. Elles signent de leur prénom, de l’initiale de leur nom de famille et précisent la durée durant laquelle elles ont milité au sein du syndicat. Le Monde a pu vérifier les identités et l’engagement de chacune. En parallèle, nous publions ce jour une enquête mettant au jour un « système de prédation » ayant eu cours au cœur même de l’UNEF.
La prise de parole de ces jeunes femmes intervient après les révélations de Libération sur des cas de harcèlement et d’agressions sexuels au sein du Mouvement des jeunes socialistes (MJS) et un premier article du Monde révélant les comportements sexistes du syndicat étudiant. Ces enquêtes ont agi comme une déflagration au sein de l’organisation syndicale : depuis une quinzaine de jours, les témoignages affluent. Le 16 novembre, une boîte mail a même été ouverte pour les recueillir. Offensives, ces anciennes militantes lancent un appel pour que cette libération de la parole touche toutes les organisations syndicales, politiques et associatives.
Tribune. Depuis plusieurs semaines, les voix de milliers de femmes victimes de harcèlement et d’agressions sexuelles s’élèvent. Générations de militantes et dirigeantes, féministes et progressistes, engagées à l’UNEF au niveau local ou national depuis le début des années 2000 et de différentes tendances, nous osons désormais nous aussi dénoncer ces violences et leur ampleur systémique.
Nombre d’entre nous avons été victimes de violences au sein même de notre organisation. Longtemps, nous nous sommes senties seules et ostracisées, par le nombre et la gravité des faits. Nous prenons désormais conscience de l’ampleur de ces violences sexistes et sexuelles. Comment avons-nous pu militer avec tant d’énergie et d’abnégation dans une organisation en laissant les femmes, nous-mêmes, y endurer de telles violences ?
Désormais unies, nous voulons que cela cesse enfin. Certaines et certains nous ont rappelé la nécessité de « protéger l’organisation ». Cet argument a contribué à réduire au silence les victimes depuis toutes ces années. Il a permis à des agresseurs d’agir en toute impunité ; les a protégés. Cet argument, nous ne l’entendons plus. Les erreurs et dérives doivent désormais pouvoir être dénoncées librement, la parole des victimes accompagnée et les agresseurs exclus pour protéger les militantes. Cette démarche est à notre sens la seule à même de protéger réellement et efficacement les militant.e.s et donc l’organisation.
Une mentalité viriliste
Au quotidien, la mentalité viriliste écrasait les valeurs progressistes que nous défendions, à travers notamment une expression exacerbée de la domination physique et sexuelle. Nombreux étaient ceux qui vantaient la toute-puissance qu’ils exerçaient sur leur partenaire, se gaussant de pratiques dégradantes dans le but de briller devant leurs congénères et d’accentuer toujours un peu plus le mal-être de leur auditoire féminin.
Les ressorts de cette masculinité triomphante étaient multiples : tableaux de chasse, classement systématique et effrayant (attributs physiques, performances sexuelles…). Jusque dans leur intimité, les femmes étaient sans cesse catégorisées, évaluées, contrôlées, épiées. Sous le couvert de la libération sexuelle, il s’agissait en réalité d’un véritable contrôle du corps des femmes.
Le fonctionnement pyramidal extrêmement hiérarchisé avec ascension par cooptation, ainsi que la dépendance sociale et l’isolement socio-économique de certaines femmes pour la première fois indépendantes favorisaient les mécanismes d’emprise, autorisant l’amplification et la systématisation de violences sexistes et sexuelles.
Le silence était de mise
Nous avons souvent été renvoyées à notre culpabilité. Il fallait se taire pour ne pas affaiblir l’organisation. Et puis finalement, était-ce si grave ? Etait-ce bien cela ? Avions-nous des preuves de ce que nous avions vu et/ou subi ? Remettre en cause certains cadres, c’était clairement se voir accusée de trahison, d’être instable, jalouse, aigrie ou de ne pas avoir le sens des responsabilités.
Combien de fois nous a-t-on demandé les numéros de téléphone de jeunes camarades ? Combien de fois avons-nous refusé ? Combien de fois ces agresseurs notoires se sont procurés, par d’autres moyens, leurs coordonnées ? Lors des rencontres nationales, quelques hommes se sont servis des failles de l’organisation pour développer des stratégies particulièrement graves : approcher leurs proies, parfois très jeunes, les faire boire, voire les droguer, pour se passer de leur consentement.
Celles qui résistaient étaient traquées, harcelées jusque devant la porte de leur domicile. En cas de grossesse, le silence était de mise. La responsabilité reposait entièrement sur les épaules des jeunes femmes, qui devaient surmonter cette épreuve dans la solitude la plus complète, alors même que des cadres montaient à la tribune pour défendre les droits des femmes à disposer de leur corps, l’accès à l’IVG, à la contraception.
Prise de conscience collective
Nous connaissons d’ores et déjà un certain nombre des agresseurs. Nous ne les nommerons pas. Mais nous ne dévierons plus le regard, nous ne courberons plus l’échine. Nous respectons les victimes, c’est pourquoi nous n’usurperons pas leur statut et respecterons leur parole, comme leur silence. Parce que ni les réseaux sociaux ni une tribune n’ont vocation à se substituer au travail de la justice.
Unies, nous aiderons celles qui décideront de porter plainte contre leurs agresseurs. Nous nous soutiendrons mutuellement pour aider les victimes à surmonter les prises de conscience, les colères et les traumatismes multiples.
A ceux qui tenteront d’instrumentaliser cette démarche pour jeter le discrédit sur l’UNEF, nous tenons à rappeler que c’est aussi grâce aux combats progressistes et féministes découverts et entamés pendant notre engagement que cette prise de conscience collective est rendue possible. Nous savons aussi le travail engagé par les actuel(le)s militantes et militants, dirigeantes et dirigeants de l’UNEF, d’ailleurs présidée par une femme pour la première fois depuis seize ans.
Enfin, nous lançons un appel aux femmes de toutes les organisations syndicales, associatives et politiques à prendre, à leur tour, la parole. Nous savons que nous ne sommes pas les seules. Une femme sur deux dans la société est confrontée à des violences. Le nier est une violence supplémentaire infligée à celles qui l’ont déjà subie. Par-delà nos opinions politiques, nos désaccords, nos sectarismes passés, ce qui nous lie, c’est notre condition de Femmes.
Annaïg P., militante à l’UNEF de 2003 à 2010, Anaïs H., 2007-2009, Anne L., 2003-2008, Anne-Sophie A., 2004-2007, Anissa B.-F., 2007-2012, Anouch Z., 2007-2010, Amandine E., 2008-2014, Aude L., 2005-2009, Aude L., 2007-2011, Aurélie M., 2005-2008, Béatrice L., 2007-2010, Beril B., 2003-2008, Charlotte B.*, 2005-2008, Camille M., 2011-2013, Camille M., 2003-2009, Camille P., 2005-2012, Catarina V., 2006-2009, Catherine M., 2003-2007, Céline A., 2008-2011, Chloé D., 2010-2017, Claire F., 2010-2013, Claire J.*, 2009-2015, Coralie B., 2008-2009, Delphine B., 2006-2009, Elodie L., 2003-2009, Erell D., 2004-2007, Estelle D., 2011-2015, Eve R., 2006-2008, Gaëlle K., 2005-2008, Hayat L., 2008-2011, Hélène P., 2002-2009, Houda N., 2002-2007, Julia C.*, 2001-2015, Julia V., 2007-2011, Julie B., 2007-2011, Julie C.*, 2012-2013, Julie E.*, 2009-2016, Julie J., 2006-2009, Julie N., 2003-2009, Julie T.-F., 2007-2012, Julie T., 2008-2012, Juliette B., 2008-2011, Juliette G., 2005-2009, Katia B., 2010-2014, Lara B., 2012-2017, Lauranne W.-G., 2011-2015, Lauriane V., 2006-2010, Laurianne D., 2003-2007, Laurine B., 2004-2008, Léa D., 2011-2016, Léa D., 2007-2013, Lisa R., 2007-2014, Lorédana A.-B., 2012-2013, Louise B.*, 2007-2011, Lucie F., 2007-2009, Lucile J., 2005-2010, Lucile M., 2010-2016, Maëlle J., 2003-2008, Maeva B., 2007-2011, Manon A., 2007-2011, Margaud A.-F., 2008-2012, Margot P.-B., 2009-2014, Maria C., 2005-2011, Marianne M., 2002-2007, Marie-Anne B., 2004-2008, Marion O., 2005-2010, Marine B., 2008-2012, Marine F., 2007-2010, Maud J., 2003-2008, Mélanie V., 2011-2016, Mélodie G.-B., 2006-2009, Ophélie M., 2008-2011, Pauline G.-M., 2009-2011, Sahra A., 2006-2010, Salomé M., 2004-2010, Sandra C., 2007-2014, Sarah B., 2011-2016, Sayna S., 2007-2013, Sorayah M., 2008-2012, Virginie C., 2006-2009, Viviane B., 2007-2010 (* Ces prénoms ont été modifiés).