Le repas de Nobel, une tradition suédoise
Le repas de Nobel, une tradition suédoise
M le magazine du Monde
Chaque année, la remise des prestigieuses récompenses est suivie d’un dîner de gala à la mairie de Stockholm, présidé par le roi. Un événement télévisé que les habitants du pays ne manqueraient pour rien au monde.
Le 10 décembre, pour la première fois depuis six ans, Rolf Elmér, son épouse Tina et leurs trois fils ne vont pas dîner à la manière du roi et des lauréats du prix Nobel. Leurs amis, qui possèdent le même service de vaisselle que celui utilisé chaque année depuis 1991 lors du banquet qui suit la remise des prix, sont en vacances à Malte. Pas question, pourtant, de tout annuler : le couple de quinquas a invité une quinzaine d’amis pour regarder, devant la télé et en tenue de soirée, la cérémonie et le dîner de gala servi sous les dorures du Blå Hallen (le « hall bleu »), à la stadshuset (la mairie) de Stockholm.
Tant pis si les assiettes et les verres ne sont pas ceux de la maison Rörstrandt, créés pour le 90e anniversaire de la prestigieuse récompense. « Je reconnais que le concept peut paraître un peu farfelu », concède Rolf en riant. Mais, au-delà des paillettes et du glamour, c’est la science et la connaissance que lui, sa compagne et leurs amis veulent célébrer, avec leurs enfants : « Le prix est une des plus belles choses que nous ayons en Suède. »
La maison Rörstrandt a créé de la vaisselle pour le 90e anniversaire du prix Nobel. | The Nobel Foundation/Orasisfoto
Hollywood a ses Oscars, la France son Festival de Cannes, le royaume scandinave ses Nobel. La fièvre qui s’empare alors du pays est comparable à celle accompagnant un mariage princier. Impossible de passer à côté. Pendant une semaine, tous les médias en parlent. Les tabloïds notent les robes des princesses et des invitées et même les quotidiens les plus sérieux publient, en plus des portraits des lauréats et des articles de fond, le plan de table du banquet, essentiel pour suivre les réjouissances depuis son canapé.
En 2016, 1,2 million de téléspectateurs ont suivi l’événement sur la chaîne SVT, qui émet en direct pendant huit heures : « C’est un peu le feu de bois autour duquel on se rassemble ce soir-là », commente la journaliste scientifique Victoria Dyring, une des présentatrices de l’émission, qu’elle regardait déjà petite, en famille. Le programme alterne entre critiques de mode, reportage dans les cuisines du chef choisi pour préparer le repas (son nom est gardé secret jusqu’au grand soir pour maintenir le suspense) et interviews et exposés scientifiques. « On essaie de rendre la science compréhensible pour tout le monde, de la descendre du piédestal où on a tendance à la placer, précise Victoria Dyring. Le Nobel récompense peut-être la recherche fondamentale, mais ses applications servent l’humanité. »
Le moindre faux pas scruté
Comme chaque année depuis 1901, la cérémonie de remise des prix de physique, chimie, littérature, médecine et économie se déroule le jour de l’anniversaire de la mort d’Alfred Nobel, son inventeur, à Stockholm (le Prix Nobel de la paix est, lui, remis à Oslo). Les lauréats, distingués en octobre, arrivent quelques jours avant la remise des prix dans la capitale suédoise. « En général, ils sont assez tendus à l’idée de dîner avec le roi, surtout quand ils ne viennent pas d’Europe et que certaines de nos traditions leur sont étrangères », raconte Gustav Källstrand, employé du Musée Nobel, qui est chargé de les briefer. Leur état ne s’améliore guère quand ils apprennent que le moindre faux pas risque d’être observé par des dizaines de milliers de téléspectateurs.
Une fois médailles et diplômes décernés par le roi Carl XVI Gustav, la chaîne SVT – dont la centaine de techniciens et de journalistes mobilisés travaillent ce soir-là en tenue de soirée – continue de transmettre en direct depuis la mairie, où se tient le fameux banquet donné par la Fondation Nobel. Les téléspectateurs n’en ratent pas une miette : de l’arrivée des quelque 1 300 convives sur le tapis rouge à la procession des invités d’honneur jusqu’à la longue table présidée par le roi, en passant par le ballet des serveurs et les intermèdes récréatifs. « Finalement, c’est une tradition ancienne qu’on remet au goût du jour : celle de regarder le roi manger avec ses convives », s’amuse Victoria Dyring.
Chaque année, le nom du chef choisi pour ce dîner reste secret jusqu’au grand soir. | Xinhua/Zuma/REA
L’organisation est impeccable, réglée des mois à l’avance dans ses moindres détails. « C’est pensé comme une œuvre d’art, une représentation, avec sa propre dramaturgie », explique Gustav Källstand. Il faut être à la hauteur de l’événement : « Les comités d’attribution des prix mettent des années avant de choisir un lauréat, pour être sûr de ne pas se tromper, sachant qu’un prix ne peut être retiré. » Il en va aussi du prestige de la Suède, ajoute Ulrika Sandström, organisatrice d’événements à l’hôtel de ville, qui assure que les Nobel contribuent au rayonnement du royaume à l’étranger : « Chaque année, après la cérémonie, on voit une surreprésentation à Stockholm des touristes originaires des pays des lauréats. »
Une loterie pour les étudiants
Pour faire partie des invités, il faut au choix : appartenir à la famille royale ou à celle d’un des lauréats, qui ont droit à quatorze invités ; siéger au sein d’un des comités d’attribution des prix ou avoir fait une généreuse donation à l’un d’entre eux. Dernière option : remporter la loterie organisée par l’Association stockholmoise des étudiants (SCCO), qui disposait cette année de quarante places, pour dix fois plus de candidats. Faut-il encore que ces heureux gagnants disposent d’un portefeuille bien garni, puisqu’ils sont priés de se présenter accompagnés et de débourser 6 590 couronnes (666 euros) pour deux.
L’arrivée des invités
The guests arrive: Nobel Banquet 2015
Durée : 06:44
Une centaine d’étudiants sont aussi impliqués dans l’organisation du banquet, chargés d’accompagner les lauréats ou de tenir les bannières de leurs corporations, en écho aux disciplines récompensées. « C’est une façon de relier les deux : les lauréats qui ont fait des découvertes essentielles et les étudiants, qui représentent l’avenir », analyse Alice Boneva, maîtresse de cérémonie. Les étudiants organisent aussi l’after-party des Nobel.
Ailleurs en Suède, le 10 décembre, les élèves célèbrent la journée à leur façon. Dans certains établissements, c’est l’occasion de sortir les grandes tenues. On parle d’Alfred Nobel, des prix de l’année et de ceux qui les ont remportés. Et puis, on déguste un repas à trois plats (le comble du raffinement en Suède) et même, parfois, on danse la valse. Il n’est jamais trop tôt pour commencer.