TV – « Angry Boys » : Chris Lilley, transformiste de génie
TV – « Angry Boys » : Chris Lilley, transformiste de génie
Par Renaud Machart
Notre choix du soir. Dans cette série, la mal-pensance et le mauvais goût affichés sont transfigurés par un sens comique consommé (sur OCS GO à la demande).
Angry Boys: Season 1 - Trailer (HBO)
Durée : 01:02
Dans Ja’mie : Private School Girl (2013), série créée et interprétée par Chris Lilley, diffusée pendant l’été 2014 par OCS puis, l’année suivante, par Canal+ Séries, l’humoriste australien – alors à la trentaine bien entamée – tenait le rôle d’une collégienne délicieusement vaniteuse et insupportable.
Le voici en vedette dans Angry Boys, tournée deux ans plus tôt sur le mode d’un « mockumentary », une fausse émission de télé-réalité avec ses caméras à l’épaule, ses entretiens de type « confessionnal ».
Le tout à la manière de ce que fait, depuis des années – et bien avant « Loft Story » (2001), le programme « trash » par lequel en France le désastre arriva –, l’émission « The Real World », de la chaîne américaine MTV, avec ses plongées en immersion dans le quotidien de colocataires.
Dans Angry Boys, Chris Lilley joue les rôles de jumeaux de 17 ans – l’un étant sourd et légèrement handicapé mental –, mais aussi celui de leur grand-mère, surveillante d’une prison pour jeunes délinquants aux méthodes politiquement peu correctes.
Chris Lilley dans Angy boys / OCS
Quand il ne paraît pas sous les traits d’un surfeur californien quadragénaire rangé des planches, Lilley incarne une mère abusive japonaise qui contraint son jeune fils skater vedette à continuer de clamer qu’il est gay (ce qu’il n’est pas) pour promouvoir la ligne de produits dérivés – d’un mauvais goût qu’on laissera au spectateur le plaisir de découvrir –, qui lui rapporte de solides revenus.
Lilley ose aussi faire ce que peu de comédiens et humoristes « caucasiens » prennent désormais le risque d’incarner publiquement : en « black face », ainsi qu’on le disait des Blancs caricaturant des Noirs sur scène, du XIXe siècle jusqu’au milieu du siècle suivant, il prend les traits caricaturaux de S. mouse, un jeune rappeur afro-américain sur le déclin.
Comme il est également musicien et chanteur, Lilley se permet même de créer et d’interpréter des clips et des chansons parodiques qui se paient allègrement la tête du rap le plus basique et commercial. Et dépasse une fois encore les bornes en allant là où il vaudrait mieux ne pas enfreindre les règles de la bienséance et de la bien-pensance.
Les minorités ethniques, les handicapés, les enfants obèses, entre autres, ne sont pas épargnés. De sorte que cette insolente liberté de ton, qui est la marque de fabrique de Chris Lilley, a été l’objet de critiques et de polémiques assez vives en son pays.
Nathan and Daniel - F*#king Knob (Angry Boys)
Durée : 03:19
Larry David, qui joue sur le même registre aux Etats-Unis, dans sa série Curb your Enthusiasm, a connu de semblables déboires. Mais le propos, parfois « limite », de Lilley, comme celui de David, trouvera grâce aux yeux des sourcilleux par les situations et les échanges hilarants – aux second et même troisième degrés – sur lesquels se fonde le comique.
Chris Lilley a un autre talent, rare chez les transformistes : celui d’être capable d’incarner de manière crédible différents sexes, âges et physiques sans pour autant se grimer et se travestir à outrance. Tout est dans l’attitude, la gestuelle, la voix et le vocabulaire.
Toute la « japanité » de la mère abusive tient dans l’accent, pas dans un quelconque bridage oculaire. Quand Lilley joue les jumeaux adolescents ou leur grand-mère, on jurerait que le comédien a véritablement leur âge.
On pourra (re) voir aussi, sur OCS Go, Ja’mie : Private School Girl ainsi que Jonah from Tonga (2014). Mais Angry Boys s’impose en premier.
Angry Boys, série créée par Chris Lilley. Avec Chris Lilley (Australie, 2011, 12 × 28 min).