Le question irlandaise complique l’accord sur le Brexit entre Londres et Bruxelles
Le question irlandaise complique l’accord sur le Brexit entre Londres et Bruxelles
Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
Theresa May rencontre lundi les présidents de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et du Conseil européen, Donald Tusk.
A Bruxelles, le 4 décembre. / Virginia Mayo / AP
Six mois après le début des négociations du Brexit, Londres et Bruxelles se rapprochent d’un accord pour passer enfin aux discussions sur leur « future relation ». Afin de finaliser les termes de cet accord, la première ministre britannique Theresa May devait rencontrer Donald Tusk, le président du Conseil (les Etats membres), et Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, à Bruxelles, lundi 4 décembre.
Le passage formel à la discussion sur les « relations futures » est conditionné à la reconnaissance, par les Européens que des « progrès suffisants » ont été accomplis concernant le divorce proprement dit.
- Les points encore litigieux
Les Vingt-Sept ont imposé aux Britanniques de se concentrer sur trois « priorités » du Brexit : le sort des expatriés européens installés au Royaume-Uni après la sortie de l’Union européenne (UE), la « facture » du Brexit (les engagements que Londres se doit encore d’honorer après le divorce). Et le sort de l’Irlande, que la sortie annoncée du Royaume-Uni du marché unique et de l’union douanière, devrait affecter plus que tous les autres membres de l’Union.
La question du « chèque » du Brexit est quasiment résolue. Même si aucune somme ne sera formulée officiellement, les Britanniques ont accepté de verser entre 50 et 60 milliards d’euros, correspondant au droit d’accès au marché intérieur pendant la période de transition de deux ans qu’ils réclament (environ 20 milliards d’euros), au reste à payer de Londres dans le budget de l’Union au jour du Brexit (une autre vingtaine de milliards) et à des engagements de plus long terme du pays (pour payer les retraites des fonctionnaires de l’UE, etc.).
Le sort des expatriés résidents au Royaume-Uni est lui aussi en partie réglé. Restait surtout, ces derniers jours, la question de la compétence, pour régler les litiges, de la Cour de justice de l’UE, que Londres conteste. « On est à 90-95 % d’un accord », soulignait cependant un diplomate européen, la semaine dernière.
- Le cas particulier de l’Irlande
L’accord bloque désormais surtout sur la question de l’Irlande. Dublin réclame de Londres des garanties écrites qu’une frontière « en dur », ne sera pas reconstituée à la frontière avec l’Irlande du Nord. La République d’Irlande craint, outre de forts préjudices pour les échanges commerciaux, intenses entre les deux parties de l’île, que cette frontière ne fragilise les accords de paix de 1998.
Pour éviter cette frontière, Dublin réclame de Londres la garantie que l’Irlande du Nord continuera à appliquer les lois de l’UE, afin d’éviter une divergence réglementaire rendant nécessaire des contrôles aux frontières pour les échanges. Londres rechigne d’autant plus que le gouvernement May ne peut ignorer les réticences du Parti unioniste démocratique d’Irlande du Nord, dont dépend sa majorité à la Chambre des communes. Mais les Européens font bloc derrière Dublin : « Si l’offre britannique n’est pas acceptable pour l’Irlande, elle ne le sera pas non plus pour l’UE », a affirmé M. Tusk vendredi 1er décembre.
- Décision attendue en décembre
Si un accord est trouvé sur le « chèque », les expatriés et l’Irlande, une nouvelle étape formelle devra être franchie : Michel Barnier, le chef négociateur du Brexit pour les Vingt-Sept, doit formuler une « recommandation » au Conseil européen, afin de reconnaître des « progrès suffisants » dans la négociation avec Londres. Cette recommandation doit être adoptée par les 27 capitales lors du conseil européen des 14 et 15 décembre.
Le Parlement européen doit lui aussi donner son aval, même si à ce stade, il est implicite (il ne votera que sur l’accord final du Brexit, probablement fin 2018 ou début 2019). C’est pour prévenir ses réticences que MM. Juncker et Barnier devaient rencontrer les eurodéputés lundi 4 décembre. Ces derniers sont très sensibles à la question des expatriés.
- La « relation future » encore à négocier
La discussion sur cette relation commerciale et politique post-Brexit avec Londres commencera dans la foulée de l’accord sur la première phase. Les Vingt-Sept ont déjà commencé d’y travailler informellement cet automne. Theresa May ayant répété vouloir quitter le marché intérieur et l’union douanière, un accord du type de celui existant avec la Norvège – qui participe à ces deux ensembles, sans être associée à la prise de décision, étant donné qu’elle n’est pas membre de l’UE – parait d’emblée exclu à Bruxelles.
Les Européens envisagent plutôt un traité de libre-échange « de nouvelle génération » comme celui signé avec le Canada (CETA), mêlant droits de douanes a minima et le maintien d’une forme de convergences réglementaires. Ce futur accord ne sera en tout cas pas signé avant que le Brexit ne soit effectif (fin mars 2019). A Bruxelles, personne n’imagine parvenir à négocier ce type de traité en moins de quatre ou cinq ans.
- Période de transition délicate
Au Conseil européen de mi-décembre, les Vingt-Sept devront aussi accorder une « période de transition » à Londres, comme réclamé depuis cet été par Mme May. Soit deux ans de plus au maximum pour avancer sur la « relation future » et éviter une rupture brutale le jour du Brexit, le 29 mars 2019. Les Européens poseront leurs conditions : durant la transition, Londres devra continuer à s’acquitter de tous les devoirs afférents à la participation au marché intérieur (participation au budget de l’Union, liberté de circulation…). Mais les Britanniques perdront du jour au lendemain le droit de siéger dans les institutions de l’Union. Ils ne disposeront plus d’un commissaire, ni d’eurodéputés, ni d’un siège au Conseil européen.
- Les Européens s’imposent
Si les échanges des heures et jours qui viennent sont concluants, la perspective d’un divorce « désordonné » sans accord définitif, s’éloignera fortement. Et le Royaume-Uni pourra enfin commencer à réfléchir à son avenir. Mais ces six derniers mois de négociations l’auront amplement prouvé : ce sont les Européens qui mènent le jeu. Jusqu’à présent, ils ont tout imposé à Londres : le timing des discussions, les conditions du divorce et son coût.