TV – « Superstar » : du bonheur d’être « normal »
TV – « Superstar » : du bonheur d’être « normal »
Par Noémie Luciani
Notre choix du soir. Kad Merad incarne Martin, un parfait anonyme, malheureuse victime d’une inattendue célébrité (sur Ciné+ Premier à 22 h 15).
Superstar - Trailer
Durée : 01:32
Devant l’hôtel, la masse bruyante des journalistes, les éclairs blancs des flashs, les interpellations : « Martin ! Martin ! Par ici ! » La masse enfle, faite de mille visages qui se ressemblent. De l’autre côté de la vitre, Martin n’a plus un mot en tête. Cela fait des jours que ça dure, cela pourrait aussi bien faire dix ans.
Martin (Kad Merad) est devenu célèbre sans savoir pourquoi. Dans le métro, les gens se sont mis à le photographier, à lui parler, en l’appelant par son nom. Cela l’a poursuivi dans la rue, au travail, jusque chez lui. Personne ne sait pourquoi ou ne prend la peine de le lui dire. Personne ne s’en soucie vraiment sauf lui, et peut-être cette journaliste, Fleur (Cécile de France), qui l’accompagne sans savoir si elle le protège ou l’expose.
La foule des anonymes l’aime passionnément. Il est célèbre, il leur ressemble : il est banal. De ce mot échappé à un présentateur, on se fait une gloire, une merveille, un nom. Les anonymes s’amassent comme les journalistes accapareurs de fortune et, comme eux, ils menacent l’équilibre fragile de Martin. Lui voudrait qu’on le laisse en paix.
Kad Merad dans « Superstar ». / CINÉ+ PREMIER
Kad Merad, vraie superstar française et ami de toujours de Xavier Giannoli, prête son visage bien connu à Martin. Le pari est osé, mais le rôle met en valeur une palette qu’il n’a pas si souvent l’occasion de déployer. L’acteur construit sur l’expression hagarde qui lui tient lieu de note de fond une série de variations saisissantes : de la crainte à l’horreur, de la surprise à l’incompréhension jusqu’à ce cri en direct à la télévision, dont on le dépossède immédiatement pour faire un emblème de tout et de rien.
Il voudrait fuir et court sur place comme un personnage de dessin animé. L’horizon est noirci d’écrans, de mains tendues pour l’étreinte dangereuse, brutale comme un coup au visage. Qu’il ait été choisi au hasard ou non importe peu : messie, bouc émissaire, le voilà sommé d’offrir son nom pour servir de bannière à tous les noms, son visage pour unifier les autres. Mais tout, dans son histoire intime, crie à l’absurde, et l’universelle polyphonie de sens le brise.
Glaçant de lucidité
Lorsque l’histoire commence, Martin tente de garder sa vie telle qu’il l’a toujours connue. Faire son travail en disait assez long sur lui pour lui permettre d’être. Mais il travaille aux côtés de handicapés mentaux, et l’agitation qu’il génère leur fait du mal : il faut qu’il parte. Autour de lui – c’est la fatalité qui lui est propre –, la foule s’assemble et le bruit commence. Ses collègues tapent dans les mains pour l’inviter à résister, les handicapés tapent dans les mains pour fêter son succès. Célébration et révolte : le même signe dit une chose et l’autre. Martin perd pied.
Adaptant librement un roman de Serge Joncour, L’Idole, Xavier Giannoli n’a abdiqué pour Superstar aucune des ambitions du livre. Glaçant de lucidité dans le portrait qu’il dresse de la société « médiavore », le film s’interdit de sacrifier à la réflexion politico-culturelle l’individu perdu au cœur de sa propre histoire. Equilibré, constructif dans sa démarche et libre de tout manichéisme, Superstar est une très belle production.
Superstar, de Xavier Giannoli. Avec Kad Merad, Cécile de France, Louis-Do de Lencquesaing, Ben, Alberto Sorbelli (Fr., 2012, 112min).