Deliveroo ne veut ni salariés ni livreurs payés à l’heure
Deliveroo ne veut ni salariés ni livreurs payés à l’heure
Par Francine Aizicovici
La plate-forme britannique de livraison de repas à vélo a opté pour des indépendants payés à la course
Des livreurs Deliveroo manifestent sur la place la République, à Paris, le 11 août. / JACQUES DEMARTHON / AFP
Les coups de colère des livreurs de repas à vélo de Deliveroo contre leur précarité n’éloignent pas les investisseurs. La plate-forme numérique britannique a bouclé il y a peu un tour de financement de 410 millions d’euros.
Elle vient de fêter sa 26e implantation en France, à Toulon (Var), et se félicite d’avoir, selon une étude qu’elle a commandée au cabinet Capital Economics, généré chez ses 3 330 partenaires restaurateurs dans l’Hexagone 200 millions d’euros de chiffre d’affaires additionnel, entre juin 2016 et juin 2017. Deliveroo fait travailler en France 7 500 livreurs, tous micro-entrepreneurs. En Europe, ils sont environ 40 000, répartis dans 170 villes, Royaume-Uni et Irlande compris.
Côté social, le paysage est moins rose. Depuis presque un mois, du fait des intempéries, l’ire des livreurs se propage. Le 14 novembre, mobilisation à Amsterdam ; le 24, à Bruxelles ; le 25, à Brighton (Angleterre) ainsi qu’à Milan et Bologne, en Italie ; le 28 novembre, à Lille… Jérôme Pimot, ancien de Deliveroo, aujourd’hui coordonnateur des collectifs militants de livreurs en France et en Europe, a dénombré « 40 grèves en 2017, dans 7 pays différents ». « L’hiver sera chaud, prédit-il. Il fait froid, et les livreurs sont de plus en plus conscients qu’ils sont exploités. »
En France, fin juillet, la plate-forme a annoncé qu’elle passerait, un mois plus tard, du paiement à l’heure au paiement à la course (5 euros et 5,75 euros à Paris). Une décision qui a provoqué, cet été, des mobilisations à Nantes, Bordeaux, Lyon et Paris. Depuis septembre, tous les nouveaux contrats sont payés à la course.
« Pertes de revenus »
Les anciens livreurs doivent accepter ce mode de paiement ou bien quitter leur travail. Les collectifs français, aujourd’hui, revendiquent le retour à la « tarification horaire » et l’instauration d’un « véritable dialogue social » avec les collectifs et les syndicats qui les accompagnent.
Le même scénario est à l’œuvre en Belgique et en Italie, derniers bastions du paiement à l’heure, qui disparaîtront respectivement fin janvier 2018 et fin décembre 2017. Mais pourquoi de tels changements ? Selon Deliveroo, à son arrivée en 2015 en France, la plate-forme n’était en mesure de ne proposer qu’« une course par heure en moyenne, d’où la nécessité d’assurer un revenu minimum garanti aux livreurs » par le paiement à l’heure. « La plate-forme propose aujourd’hui entre 2,5 et 3 courses par heure, ce qui rend la généralisation du tarif à la course légitime », poursuit-on.
De tels changements au Royaume-Uni et en France montrent que « la grande majorité des livreurs gagnent autant, voire légèrement plus qu’avant ». Mais selon la coordination des collectifs militants en France, le nouveau système occasionnerait « des pertes de revenus comprises entre 18 et 33 % pour accomplir un travail encore plus dangereux » car le système pousse à la performance, explique M. Pimot.
Désormais, l’accès aux plannings est lié à « une notation », a expliqué Edouard Bernasse, du Collectif des livreurs autonomes de Paris lors d’un débat organisé, le 8 décembre, par l’association des journalistes de l’information sociale (AJIS). « Cette notation prend en compte votre présence sur les plannings, votre participation aux pics d’activité et votre disponibilité. Mieux vous êtes noté, plus vous accédez tôt aux plannings pour réserver les créneaux qui vous conviennent. »
Nouveau credo
En Belgique, où Deliveroo fait travailler 2 500 à 3 000 livreurs, la société applique aussi sans faillir son nouveau credo. En mai 2016, le marché de la livraison de repas à vélo était en pleine expansion. A Bruxelles, SMart, coopérative d’emplois axée sur les artistes qui permet à ses sociétaires d’avoir un statut d’entrepreneur-salarié, constate que de plus en plus de membres complètent leurs revenus en étant livreurs de repas à vélo. Le 1er avril 2016, un contrat est signé entre SMart, d’une part, et Deliveroo et Take Eat Easy – qui a fait faillite fin août 2016 –, d’autre part.
Pour améliorer le sort des livreurs, Sandrino Graceffa, administrateur délégué de SMart, explique avoir « obligé les plates-formes à payer à l’heure, à proposer des créneaux de trois heures minimum, à prendre en charge des frais pour le vélo et un dédommagement pour l’utilisation du téléphone portable. Le tout avec un contrat de travail en bonne et due forme. Cela nous a permis de commencer à travailler sur un autre aspect, celui de la prévention du risque d’accident du travail. En 2016, nous avons déclaré 70 accidents du travail pour 2 500 livreurs, c’est énorme. »
Mais l’aventure belge est terminée. A partir du 1er janvier 2018, tous les livreurs Deliveroo seront indépendants et rémunérés à la course. Le collectif des coursiers de Belgique réclame qu’ils aient « le choix entre être indépendants ou être salariés chez SMart, ainsi qu’un paiement à l’heure pour tous et un comité de concertation », souligne Douglas Sepulchre, porte-parole du collectif.
La dénonciation du contrat est intervenue alors que l’« on était sur le point de signer avec deux grandes centrales syndicales, la FGTB [Fédération générale du travail de Belgique] et la CNE [Centrale nationale des employés, affiliée au syndicat chrétien CSC], un accord d’entreprise destiné à faire appliquer la convention collective de la branche du transport », déplore M. Graceffa.