Le Sénégal espère que son nouvel aéroport deviendra le hub aérien d’Afrique de l’ouest
Le Sénégal espère que son nouvel aéroport deviendra le hub aérien d’Afrique de l’ouest
Par Salma Niasse (Contributrice, Le Monde Afrique), Amadou Ndiaye (Contributeur, Le Monde Afrique), Matteo Maillard (Dakar, correspondance)
Après dix ans de travaux souvent interrompus, le nouvel aéroport de Dakar a accueilli ses premiers vols commerciaux le 7 décembre, à 47 km de la capitale.
La salle d’embarquement du nouvel aéroport Blaise Diagne (AIBD) de Dakar, inauguré le 7 décembre 2017. Il est situé à 47 km au Sud-Est de Dakar. / Sylvain Cherkaoui/Cosmos pour Le Monde Afrique
Il est midi à Dakar et l’avion du président sénégalais vient de se poser sur le tarmac flambant neuf de l’aéroport international Blaise Diagne (AIBD). Ce jeudi 7 décembre, c’est le vol d’inauguration de cette nouvelle infrastructure moderne, fleuron du plan Sénégal émergent. Voulu comme un « accélérateur de développement », ce projet dont la pose de la première pierre remonte à dix ans, a eu une adolescence difficile : changement de maître d’ouvrage, financements erratiques, chantier embourbé, plaintes des concessionnaires. Devant plusieurs milliers de Sénégalais, le président Macky Sall semble aujourd’hui soulagé de mettre un terme à ces difficultés, en inaugurant ce qu’il estime être « le premier hub aérien d’Afrique de l’Ouest ».
Situé à Diass, à 47 km de la capitale Dakar, l’aéroport international Blaise Diagne, du nom du premier député africain noir élu au Parlement français en 1914, s’étend sur 4 500 hectares dont seuls 2 500 sont aujourd’hui occupés. Avec une capacité de 2 millions de passagers annuels, contre 1,9 million pour son principal concurrent, l’aéroport Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan, il est prévu que de nouveaux terminaux voient le jour dans un avenir proche, afin de traiter jusqu’à 10 millions de passagers à l’horizon 2035. A l’instar de son rival ivoirien, il pourra désormais accueillir le plus grand avion de ligne du monde, l’Airbus, l’A380.
Un aéroport à 645 millions d’euros
En inaugurant ce nouvel aéroport extensible, le président Macky Sall espère qu’il permettra au Sénégal de « rester dans le temps de l’action d’un monde globalisé où le progrès des nations se doit de relever les défis de compétitivité, de précision et de vitesse », a-t-il clamé lors de son discours d’ouverture. Un espoir coûteux qui fut en proie à un développement chaotique. Estimés au départ du chantier à 200 milliards de francs CFA (305 millions d’euros), les investissements ont plus que doublé en dix ans pour se stabiliser aujourd’hui le coût à 424 milliards de francs CFA (646 millions d’euros), a annoncé le 4 décembre la ministre des Transports aériens, Maïmouna Ndoye Seck.
De nombreux obstacles se sont dressés sur cette vaste étendue de latérite rouge clairsemée de baobabs, de manguiers et balayée par le vent. Démarré en 2007, « le taux d’exécution des travaux n’en était qu’à 12 % en 2012 », date d’échéance initiale pour la livraison du projet, rappelle Abdoulaye Mbodj, directeur de l’aéroport. Lancé par le président Abdoulaye Wade, le projet s’enlise. L’élection en 2012 de son ancien premier ministre Macky Sall à la tête du pays ne permet pas dans un premier temps de le relancer. « Le chantier était presque à l’arrêt en 2013 », poursuit M. Mbodj. D’abord confié au mastodonte saoudien du BTP, le Bin Ladin Group, la maîtrise d’ouvrage passe en 2015 aux mains des Turcs de Summa-Limak, suite à un contentieux. Le groupe saoudien demandait au gouvernement sénégalais de lui verser un cinquième avenant d’un montant de 64 milliards de CFA (97,5 millions d’euros) afin de relocaliser des populations vivant sur la zone de l’aéroport.
Des villages déplacés
Trois villages sont concernés par ces expropriations : Mbadat, Kathialick et Kessoukhatt, 2 500 habitants en tout. Alors que les résidents des deux premiers acceptent d’être recasés à 6 km du site de l’aéroport, ceux de Kessoukhatt refusent de partir. Malick Diouf fait partie de ceux-là. « Hormis trois familles dont les maisons étaient sur le site de l’aéroport et qui ont été obligées de partir, le reste de notre village se trouve à 200 mètres en dehors du mur d’enceinte, dit-il. Pourquoi ne pas nous laisser vivre tranquille dans notre village ? »
La tour de contrôle du nouvel aéroport Blaise Diagne de Dakar. / Sylvain Cherkaoui/Cosmos pour Le Monde Afrique
Dans les villages de recasement, les bénéficiaires dénoncent des promesses non tenues par les autorités. « Jusqu’à présent, pas de marchés construits pour les villages ni d’aires de jeux pour les jeunes, comme cela avait été promis », se désole Abdoulaye Ndione, du village déplacé de Mbadat. Autre impair : tous les villageois n’ont pas obtenu les dédommagements pour leurs exploitations agricoles, fixées à 50 000 CFA (76 euros) pour un manguier productif, la moitié pour un plant immature, ainsi que 557 CFA par hectare et par an de récolte perdues. En cause, un recensement « bâclé » qui a laissé en rade plusieurs ayants droit et qui continue d’être contesté. Une partie des champs se sont retrouvés de l’autre côté du mur du nouvel aéroport.
Entreprises étrangères
Les entreprises sénégalaises opérant à l’aéroport Léopold Sédar Senghor (AILSS) sont aussi mécontentes. L’ancien aéroport de Dakar, en service depuis 70 ans, sera désormais à vocation militaire. Il a fermé ses pistes jeudi au moment même où s’ouvraient celles de l’AIBD. Ces sociétés accusent le consortium d’exploitation sénégalo-turc de les avoir écartées du transfert vers l’aéroport international Blaise Diagne (AIBD), au profit de structures étrangères. Appuyées par l’Union des prestataires et opérateurs du Sénégal (UPOAS) et le Conseil national du patronat (CNP), elles dénoncent le manque de transparence et l’absence d’appel d’offres pour la concession des lounges mais aussi pour le magasin duty free, remporté par le français Lagardère.
Le président sénégalais Macky Sall à la cérémonie d'inauguration de l'aéroport International Blaise Diagne. Les chefs d’Etat du Gabon Ali Bongo, de la Gambie Adama Barrow et de Guinée Bissau José Mario Vaz étaient présents. / Sylvain Cherkaoui/Cosmos pour Le Monde Afrique
Faux, rétorque-t-on du côté de l’AIBD. « Ces entreprises sénégalaises ont bien postulé mais le mieux offrant a été retenu et cela se comprend, parce qu’il y a une recherche de recettes au niveau de cette structure, argue Abdoulaye Mbodj, directeur de l’AIBD. Il n’y a pas eu de gré à gré. Dans cet aéroport, nous avons passé des contrats directs avec treize entreprises sénégalaises. »
Couacs dans le fret
Même son de cloche du côté du fret aérien, qui devra être capable de traiter 50 000 tonnes de marchandises par an. L’union des acteurs du fret (UAS) dénonce le fait que Teyliom logistics, en charge du « Cargo village », a abandonné les négociations pour louer l’ensemble de ses entrepôts à Swissport, leader mondial des services aéroportuaires. « L’Etat aurait dû arbitrer, proteste Ibrahima Kebe, président de l’UAF. La présence de Swissport risque de plomber les activités des autres acteurs du fret, qui n’auront plus d’espace de stockage. On va perdre plus de la moitié de nos activités. Au minimum cinq personnes par société vont être licenciées, pour les vingt à vingt-cinq sociétés présentes dans l’UAF ». Contacté par Le Monde Afrique, le groupe Teyliom logistics a refusé de commenter le contentieux.
Dakar, le 07/12/2017. Spectacle de balai aérien à l'AIBD. Le président du Senegal Macky Sall préside la cérémonie d'inauguration de l'aéroport International Blaise Diagne AIBD. Les chefs d’Etat du Gabon Ali Bongo Ondimba, de la Gambie, Adama Barrow et de la Guinée Bissau José Mario Vaz ainsi que le Premier Ministre de Sao Tomé-et-Principe, Patrice Emery Trovoada accompagnent Macky Sall. / Sylvain Cherkaoui/Cosmos pour Le Monde Afrique
Les tensions sont aussi vives chez SHS, la principale société de handling de Dakar. Pour l’heure, aucun accord n’a été trouvé pour son intégration dans la nouvelle société de handling, 2 AS, créée pour l’AIBD. « On ne comprend pas les motivations de l’Etat, avance un membre de l’exécutif de SHS. L’acteur sénégalais présent depuis quinze ans est obligé de cesser ses activités au profit d’une société créée ex-nihilo, sans licence, sans reconnaissance internationale, sans employé et sans matériel. »
Les équipements changent, les pratiques restent
Tandis que, ce 7 décembre, les premiers vols commerciaux ont commencé à atterrir en début d’après-midi, il subsiste des couacs tout au long du projet une impression de précipitation que partagent les premiers voyageurs. A l’exemple d’Anne, résidente à Dakar qui a atterri à 15 h 10 avec le troisième vol de la journée, celui de la Kenya Airways. « L’aéroport est beau mais les employés n’ont pas encore été bien formés, confie-t-elle. Ils ont dû s’y prendre à trois fois avant de réussir à fixer les passerelles télescopiques à l’appareil. On a vu aussi deux douaniers discuter entre eux dans les cabines neuves et nous renvoyer à leurs collègues sans un regard. Les équipements changent mais les pratiques restent. »
Prochaine étape du rêve aérien de Macky Sall, faire décoller la nouvelle compagnie Air Sénégal SA qui devrait effectuer ses premiers vols commerciaux en janvier 2018. Son directeur, le français Philippe Bohn, ancien « Monsieur Afrique » d’Airbus, aura la difficile mission de faire oublier les cuisants échecs de ses prédécesseurs, les faillites successives subies par Air Afrique en 2002 et Sénégal Airlines en 2016.