La Bourse de Chicago institutionnalise le bitcoin
La Bourse de Chicago institutionnalise le bitcoin
Par Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)
Si la reconnaissance de la cryptomonnaie n’est pas encore complète, il sera désormais possible de parier sur son évolution. De quoi donner des gages de sérieux à une devise volatile.
Un terminal d’achat de bitcoin à Vilnius, le 8 décembre. / INTS KALNINS / REUTERS
Le bitcoin vaudra 16 660 dollars le 17 janvier 2018. C’est en tout cas ce que prévoyait le Chicago Board Options Exchange (CBOE), dimanche 10 décembre, peu après 18 heures, dans la foulée de l’inauguration du premier marché à terme sur la célèbre cryptomonnaie.
Cette première a été très discrète, avec environ 600 contrats échangés et aucune célébration particulière. Il n’empêche, elle institutionnalise une devise inventée en 2009, qui fait l’objet d’une folie spéculative et vaut au total 250 milliards de dollars. Le bitcoin, qui cotait moins de 1 000 dollars au début de l’année, a dépassé les 17 000 la semaine dernière.
Simple épargnant, n’espérez pas passer par la Bourse de Chicago pour spéculer sur le bitcoin. JP Morgan, Bank of America et Citigroup ne donneront pas accès à ce marché à leurs clients, tout comme les entreprises de courtage grand public comme Schwab. La banque d’affaires Goldman Sachs le fera, mais avec d’extrêmes précautions pour de riches clients triés sur le volet.
Les banques sont divisées entre la tentation de participer à un marché juteux – plusieurs dizaines de fonds spécialisés dans les cryptomonnaies ont été lancés récemment – et le risque juridique qu’elles prennent en permettant à leurs clients d’acheter des produits dont la valeur ne repose sur rien : une action est une part d’entreprise ; une obligation est un prêt remboursable ; une devise est garantie par une banque centrale et une économie, tandis que le bitcoin n’a aucun sous-jacent. Il n’est que le fruit de l’offre et de la demande.
Bulle spéculative ou invention géniale ?
La reconnaissance du bitcoin n’est pas complète, loin s’en faut : le CBOE ne cote pas des bitcoins mais des contrats en dollars indexés sur le cours du bitcoin (la valeur de ce dernier est déterminée par une bourse extérieure, Gemini, spécialisée dans l’échange techniquement complexe des cryptomonnaies). Le Chicago Mercantile Exchange (CME), qui emboîtera le pas dans une semaine, aura pour référence quatre autres bourses (Bitstamp, GDAX, itBit et Kraken). On le voit, à Chicago, on est prudent : nul n’achètera ni ne vendra de vrais bitcoins.
Selon ses défenseurs, la cotation indirecte du bitcoin à Chicago, qui permet de vendre à terme et donc de spéculer à la baisse, pourrait tempérer la folie haussière. Des mesures de précautions ont été prises pour éviter les faillites sur ce marché hautement volatil : un dépôt supérieur à 40 % du prix du contrat sera exigé, tandis que les variations de cours supérieures à 10 % et 20 % entraîneront l’arrêt momentané des cotations.
Sur le papier, il semble possible de manipuler indirectement le marché de Chicago en achetant ou vendant de vrais bitcoins sur les cinq bourses partenaires du CME et du CBOE qui ont des volumes très faibles. Mais, explique le Wall Street Journal, ces bourses assurent avoir pris des mesures anti-blanchiment et avoir renforcé leur régulation.
En attendant, l’histoire devra trancher, entre ceux qui dénoncent une bulle spéculative voire une escroquerie et ceux qui décèlent une invention géniale, la monnaie de demain. Alan Greenspan, l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, fait partie des premiers, qui a jugé que le bitcoin n’était pas une « monnaie rationnelle ». Il l’a comparé au « Continental », monnaie papier créée par les révolutionnaires américains en 1775 et qui finit par s’effondrer en 1782, car elle n’avait aucune contrepartie.
Cercle fermé
D’un autre côté, le bitcoin porte des innovations majeures : comme l’or, il ne dépend pas d’une banque centrale ou d’une autorité politique, il est très pratique pour blanchir de l’argent, échapper à l’Etat et l’hyperinflation – la quantité de bitcoins, actuellement de 16,7 millions, ne peut pas dépasser 21 millions –, ce qui explique son succès en Chine ou dans des pays faillis comme au Venezuela. Le bitcoin n’est pas non plus sans danger, près d’un million de bitcoins ayant été hackés ou volés.
Les banques centrales s’en sont jusqu’à présent peu préoccupées, les masses en jeu n’étant pas suffisamment importantes. Les bitcoins, dont beaucoup sont en sommeil dans des ordinateurs, vivent plutôt en cercle fermé – ils ne servent pas de monnaie d’échange ou de contrepartie réelle. Leur effondrement n’aurait, pour l’instant, pas d’effet systémique.