Pour le plus européen des responsables politiques britanniques, l’ancien vice-premier ministre libéral Nick Clegg, les électeurs peuvent encore changer d’avis au sujet du projet de sortie de l’UE. / POOL / REUTERS

L’accord sur le Brexit présenté vendredi 8 décembre à Bruxelles à grands coups de clairon ne serait qu’une péripétie dans la longue procédure de divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, à en croire Nick Clegg, le plus proeuropéen et anti-Brexit des responsables politiques britanniques. « C’est un pas minuscule, il aurait pu être conclu en cinq minutes », a-t-il confié aux correspondants de plusieurs journaux européens à Londres dont Le Monde.

Pour qualifier le compromis qui va permettre l’ouverture des négociations commerciales, le mot anglais fudge, qui désigne à la fois un caramel mou, des balivernes et un libellé particulièrement flou, revient souvent dans la bouche de l’ancien responsable du Parti libéral-démocrate (LibDem) qui a gouverné de 2010 à 2015 avec le conservateur David Cameron. « Theresa May a accepté de payer une énorme somme à l’UE mais sur l’Irlande, rien n’a été décidé », constate-t-il alors qu’avec le Brexit, le Royaume-Uni y « crée une frontière qui n’existait pas ».

Pour lui, le Brexit constitue « le plus grand bond en arrière sur le libre-échange depuis la deuxième guerre mondiale » et une catastrophe, en particulier pour les jeunes Britanniques qui vont le subir alors qu’ils ne le souhaitaient pas. L’essentiel est d’imaginer d’enrayer le processus menant à ce désastre. Nick Clegg, qui a perdu en juin le siège de député de Sheffield qu’il détenait depuis douze ans, n’est guère optimiste. Le plus probable selon lui est que Londres se voie concéder par l’UE un accord commercial du type de celui – le CETA – qui vient d’être conclu avec le Canada. Le gros ennui, souligne-t-il, est que ce type de « deal » ne couvre pas le secteur des services, qui constitue 80 % de l’économie britannique et qu’il mettra des années à être conclu.

Calendrier serré

Etant donné le calendrier serré, le Parlement de Westminster ne pourra être consulté, en octobre 2018, que sur les grandes lignes d’un futur accord commercial et M. Clegg craint que les députés, de guerre lasse, ne l’approuvent. L’ancien vice-premier ministre critique la tactique des anti-brexiters du Labour qui comptent sur la « période de transition » (probablement 2019-2021) qui prolongera le statu quo avec l’UE (sans que Londres n’ait plus son mot à dire à Bruxelles) pour dissiper le projet du Brexit et convaincre les Britanniques de son inanité. Au-delà du 30 mars 2019, date formelle du Brexit, souligne-t-il, il sera extrêmement compliqué de changer d’avis car il faudrait reposer une candidature pour rentrer dans l’UE !

Pour M. Clegg, qui a fondé un cercle de réflexion baptisé Open Reason, la bataille à livrer est celle de l’opinion et elle se joue dans les dix mois à venir. « Si une démocratie ne peut pas changer d’avis, elle cesse d’être une démocratie », estime-t-il. Aujourd’hui, même les Britanniques proeuropéens pensent que les jeux sont faits et qu’il ne reste plus qu’à tenter de limiter les dégâts. Nick Clegg professe que les citoyens sont « totalement libres de changer d’avis » et que là est le message à diffuser.

Pour l’heure, si une brise anti-Brexit a commencé à souffler, elle est loin d’avoir renversé massivement le vote de juin 2016 (51,9 % pour le Brexit): selon la dernière vague de sondage, 52 % des Britanniques pensent que le vote pro Brexit a été une erreur alors que 48 % restent convaincus que c’était la bonne décision. Face à ce constat, l’ancien dirigeant LibDem déplore la division des organisations de la société civile opposées au Brexit et l’absence d’un leader pour porter ces idées. « Le nombre d’électeurs qui ont rejeté le Brexit est supérieur à celui des voix qu’a jamais récoltées chacun des partis existants. Il n’est pas possible qu’une démocratie adulte les prive de leurs droits de citoyens. »

Pour cet européen blessé par le résultat du référendum de 2016, les fanatiques du Brexit comme les ministres Boris Johnson ou Michael Gove considèrent le 30 mars 2019 comme « une date sacro-sainte » au-delà de laquelle ils pourront déployer leur projet ultralibéral de rupture avec le continent. Tout étant suspendu au respect de cette échéance, ils ont fini par accepter les concessions de Theresa May, y compris la facture de 50 milliards d’euros à l’UE.

« Ambivalence » de Corbyn

La seule façon d’éviter ce virage néoconservateur selon lui funeste, serait de s’adresser à la frange montante de l’opinion qui craint les conséquences négatives du Brexit. Selon de récents sondages, seuls 16 % des Britanniques pensent que leur pays l’a emporté dans les négociations sur le Brexit et 41 % disent « craindre » ses retombées. Parmi ceux qui ont voté pour le Brexit, seuls 28 % pensent que le pays va obtenir un accord favorable alors qu’ils étaient 51 % à le penser en début d’année. Un Britannique sur deux est désormais favorable à l’organisation d’un référendum sur l’accord final avec l’UE.

Nick Clegg en veut au leader travailliste, Jeremy Corbyn, qu’il juge « ambivalent » sur l’Europe. « S’il avait fait campagne contre le Brexit, les proeuropéens auraient attiré les 2 % d’électeurs qui leur ont manqué. » Mais il pense qu’un futur leader anti-Brexit ne peut venir que du Labour. « Le Brexit est désormais un concept lié au Parti conservateur. Lorsqu’il s’agira de voter au Parlement, il sera difficile pour le Labour de voter pour. »