Eminem revient avec un pop-rock délavé
Eminem revient avec un pop-rock délavé
Par Stéphanie Binet
Le rappeur américain gâche son talent sur « Revival », son neuvième album, ennuyeux et long.
Eminem est une icône de la pop culture mondiale. Irrévérencieux, il a repoussé les limites de la liberté d’expression comme avant lui les Monty Python ou, dans son registre, le groupe N.W.A et son Fuck Tha Police. Prolifique, il a fait de son rap une arme de séduction massive qui a fait exploser, au début des années 2000, les clichés racistes de l’Amérique. Le maître du gangsta rap, l’Afro-Américain Dr. Dre, avait démontré, en le produisant, que leur culture hip-hop faisait peu de cas, en fait, des couleurs de ses interprètes. Oui, un petit Blanc qui a grandi dans une caravane à Detroit peut devenir le plus grand rappeur de tous les temps, apprécié de tous, quelle que soit son origine sociale ou culturelle.
Eminem est une icône parce que sa musique était tout sauf pop. Elle était abrasive (White America), drôle (Slim Shady), révoltante (Kim) et parfois bouleversante comme sur Stan ou Lose Yourself. Ses rimes finissaient toujours par toucher là où ça faisait mal. Mais vendredi 15 décembre, jour où il publie son neuvième album, Revival, l’icône n’est plus, sa musique s’est transformée en un pop-rock délavé comme le drapeau de la pochette.
INTERSCOPE
« Un magnifique gâchis »
Ceux qui attendaient beaucoup de ce disque, quatre ans après le déjà mitigé The Marshall Mathers LP 2, risquent d’être déçus. Son improvisation anti-Trump, sur la chaîne de télévision américaine BET, le 10 octobre, et la récente sortie du single Untouchable, laissaient pourtant entrevoir un retour à la hauteur de son talent. Mais l’album de dix-neuf morceaux, qui a fuité la veille sur Internet, a refroidi bien des ardeurs. Comme il le rappe sur le morceau introductif en duo avec Beyoncé, Walk on Water, Eminem est « un magnifique gâchis » (« a beautiful mess »). Son album pourrait aussi être résumé ainsi.
Eminem Rips Donald Trump In BET Hip Hop Awards Freestyle Cypher
Durée : 04:35
Il y invite pourtant quelques grands noms de la variété anglo-saxonne : Beyoncé donc, mais aussi ses consœurs Alicia Keys, Pink, Khelani et l’Anglais Ed Sheeran. River, chanté par ce dernier, est peut-être un des seuls morceaux à sauver de ses collaborations. A 45 ans, alors qu’il n’a plus rien à prouver dans sa discipline, il tente de draguer la scène actuelle en reprenant, comme tous les autres MC de la planète, le débit au rythme ternaire des Migos, trio d’Atlanta, pour le pathétique Chloraseptic. Autre grosse déception de ce disque, la qualité des musiques, le choix des samples, de ses producteurs… Si Dr. Dre fait toujours partie de l’équipe, il n’est plus aussi présent. En revanche, Alex da Kid l’est, lui, beaucoup trop. Et que dire de Rick Rubin, pourtant aux manettes de nombreux titres ? Il livre là une pâle version de ses collaborations passées.
Eminem - River Ft. Ed Sheeran (Lyrics Video) | Revival Album
Durée : 03:42
Samples trop grossiers
Eminem appartient pourtant à cette catégorie de rappeurs assez fortunés pour pouvoir se permettre d’acheter les droits d’échantillonner, de modifier les musiques de qui il souhaite. Mais ses samples sur ce disque sont trop évidents, trop grossiers. Pour Remind Me, il reprend le riff de guitare d’I Love Rock n’ Roll popularisé par Joan Jett et The Blackhearts, en 1985. Le résultat semble bien fade à côté de la géniale collaboration de Run-DMC et d’Aerosmith pour Walk This Way, en 1986.
Eminem nous avait habitués à une utilisation bien plus judicieuse de ses références rock, notamment dans l’emblématique Lose Yourself. Pour raconter une nouvelle fois son addiction aux antalgiques, il reprend le refrain téléphoné de In Your Head du non moins connu Zombie, de Cranberries, ou bien encore The Rose, de Bette Midler, pour le final Arose. Décevant, alors, qu’un Jay-Z, lui, avait eu la finesse et l’intelligence de sampler le magnifique Four Women, de Nina Simone, pour, The Story of O.J..
Eminem - Untouchable (Audio)
Durée : 06:12
Les albums des deux quadragénaires, rappeurs de même catégorie et notoriété, ne souffrent d’ailleurs pas la comparaison. Malgré sa verve toujours affutée, Eminem livre un disque ennuyeux et long quand Jay-Z a su, de manière concise et précise, toucher son auditoire avec 4:44, sorti cet été.
Le rap d’Eminem contre Trump, « un kamikaze » capable de provoquer « un holocauste nucléaire »
Durée : 01:30
Revival, d’Eminem. 1 CD Interscope. revival.eminem.com