La « grossophobie » désigne la peur, le rejet et la haine des personnes désignées comme trop grosses socialement. / CHINA STRINGER NETWORK/ REUTERS

La mairie de Paris organise, vendredi 15 décembre, une « journée de lutte contre la “grossophobie” ». Un terme récent, mal connu du public, mais qui traduit cependant ce que vit au quotidien près de la moitié de la population française en surpoids ou obèse.

Selon une enquête du Défenseur des droits, 20 % des personnes obèses au chômage estiment ainsi avoir été discriminées à l’embauche en raison de leur poids. La sociologue Solenn Carof, autrice d’une thèse sur le surpoids, revient sur les causes et effets de cette discrimination.

Qu’est-ce que la « grossophobie » ?

Ce terme vient du militantisme (notamment d’Anne Zamberlan, fondatrice d’Allegro fortissimo) et désigne la peur, le rejet et la haine des personnes désignées comme trop grosses socialement. En sociologie, on parlera de stigmatisations et de discriminations pour décrire les conséquences concrètes de ces préjugés et stéréotypes péjoratifs. Ils associent à la grosseur des caractéristiques d’immoralité (passivité, manque de volonté), la laideur et un mauvais état de santé.

Ce type d’associations entre caractéristiques physiques et caractéristiques morales est extrêmement ancien (on le voit dans les contes de fées) : les corps jugés socialement beaux ont toujours été associés à l’intelligence, la gentillesse, etc., quand la laideur était associée à la méchanceté, à la bêtise, etc. On retrouve ces préjugés péjoratifs pour les personnes grosses qui ont des rôles caricaturaux dans les films ou les émissions de télé-réalité.

Pourquoi le grand public associe-t-il l’obésité à un manque de discipline ?

Si les personnes obèses sont représentées comme « sans volonté », c’est parce que leur corps est jugé être le résultat d’une « mauvaise » alimentation. Elles sont jugées incapables de refréner leur appétit. Nous sommes dans une société qui valorise la responsabilité individuelle et en particulier la responsabilité en matière de santé. Et dans ce cadre, l’obésité étant associée à une maladie, les personnes concernées sont jugées incapables de prendre en charge leur santé.

Il existe aussi de nombreuses croyances au sujet des régimes, et le sens commun s’imagine qu’il suffit de faire un régime pour maigrir, par exemple. La simplicité de la solution induirait le fait que celles et ceux qui n’y arrivent pas n’ont pas de volonté. On peut voir ces croyances à l’œuvre s’agissant d’autres problématiques (arrêter de fumer, lutter contre l’alcoolisme).

Cette discrimination touche-t-elle davantage une catégorie de population qu’une autre ?

Cela touche plus les femmes lorsque l’on parle des corpulences moins fortes, pour des raisons liées aux normes esthétiques et corporelles bien plus contraignantes pour ces dernières. On peut voir l’effet de ces différences de genre en termes de discrimination dans le taux de personnes qui font des opérations bariatriques [qui modifient le système digestif, un anneau gastrique par exemple] pour perdre du poids : plus de 80 % sont des femmes alors qu’elles ne sont pas plus obèses en moyenne que les hommes. La norme de minceur étant d’autant plus forte pour les femmes qu’elles sont dans des professions socialement élevées.

Par ailleurs, la prévalence de l’obésité est plus forte dans les milieux défavorisés. (…) Or les personnes pauvres ont longtemps été associées dans les stéréotypes sociaux (et le sont encore) à la paresse ou à la fainéantise. Les personnes grosses sont un peu le bouc émissaire moderne, l’antithèse (supposée) des valeurs prônées par la société moderne (performance, responsabilité individuelle, minceur).

A noter que ces discriminations conduisent aussi à des phénomènes de déclassement social, certaines personnes n’accédant pas au statut social que leur diplôme leur permettrait du fait de leur corpulence.

Que doivent faire les pouvoirs publics concrètement pour diminuer les effets de cette discrimination ?

Insister sur la diversité des causes du surpoids et de l’obésité et ne pas laisser croire qu’il suffirait de « bien » manger et de faire du sport pour ne pas en être atteint. Insister sur le fait que les régimes ne sont pas toujours une bonne solution (parce qu’ils peuvent également faire prendre du poids). Former les futurs médecins à la bienveillance et à l’écoute, pour ne pas faire fuir leurs patients obèses et accentuer ainsi leurs problèmes de santé.

Je pense que la diversité physique des personnes représentées dans les médias est très importante, mais cela ne dépend pas des pouvoirs publics.

De manière générale, il faut arrêter de faire peur aux gens en parlant de « l’épidémie » d’obésité et essayer d’avoir des actions préventives positives (subventionner les fruits et légumes, subventionner les clubs sportifs, etc.) plutôt que punitives.