Jafar Dicko, le nouveau visage du djihadisme au Burkina Faso
Jafar Dicko, le nouveau visage du djihadisme au Burkina Faso
Par Seidik Abba (chroniqueur Le Monde Afrique)
Ibrahim Malam Dicko mort, c’est son frère qui lui succède à la tête du mouvement Ansaroul Islam, dans un contexte marqué par le déploiement de la force du G5 Sahel.
C’est son tout premier cercle qui l’affirme : Ibrahim Malam Dicko, fondateur du mouvement djihadiste burkinabé Ansaroul Islam, est bel et bien mort en mai. Non pas lors d’une frappe aérienne menée par la force française « Barkhane », mais d’épuisement et de soif.
Selon le récit très circonstancié fait par ses proches puis rapporté par un responsable d’une ONG locale sahélienne, les soldats de « Barkhane » ont agi en deux temps contre le quartier général d’Ansaroul Islam lors de l’opération militaire « Bayard », les 29 et 30 avril. Ils ont d’abord procédé à des bombardements aériens sur le camp des djihadistes burkinabés dans la forêt de Foulsaré, à la frontière avec le Mali, avant d’envoyer des commandos au sol.
Ibrahim Malam Dicko, déjà miné par un diabète chronique, aurait alors fui avec sa garde rapprochée dans l’immense forêt où son corps a été retrouvé sans vie. « Ses partisans n’ont trouvé aucune trace de blessure sur le corps. Après le raid de “Barkhane”, il a perdu son chemin dans la forêt et s’est retrouvé sans nourriture ni forces pour continuer. Il a été enterré sur place », a ajouté le responsable de l’ONG qui a réussi à entrer en contact avec l’entourage du fondateur d’Ansaroul Islam.
Féru de nouvelles technologies
Prenant acte de cette disparition, les djihadistes burkinabés ont alors décidé de porter à la tête de leur mouvement Jafar Dicko, 38 ans. De son vrai nom Amadou Boucary, il est le frère cadet de Malam. Né à Soboulé, près de Djibo, dans le nord du Burkina Faso, il est décrit par ses proches comme un érudit coranique tout autant qu’un féru de nouvelles technologies. D’un physique longiligne, Jafar Dicko a deux épouses et cinq enfants. Il est redouté pour sa colère éruptive et sa brutalité. On le dit accro aux actualités internationales et à internet, notamment à des sites en arabe prônant la généralisation du djihad en Afrique subsaharienne.
Avant de prendre la succession de Malam, il était préposé à l’exécution des sentences prononcées par Ansaroul Islam et apparaissait comme le numéro trois dans l’organigramme du mouvement djihadiste, juste après le défunt et Mansour Dicko, autre enfant de la fratrie. Comme son prédécesseur, Jafar a bénéficié de l’encadrement du djihadiste malien Amadou Koufa, « parrain sous-régional » et fondateur du Front de libération du Macina, au Mali, avec qui Ansaroul Islam entretient des liens idéologiques, opérationnels et logistiques.
Le nouveau visage d’Ansaroul Islam hérite d’un mouvement crédité de près de près 200 combattants, basés principalement dans les villages de Boulkessi et de Ndaki, à la frontière avec le Mali. Si sa désignation semble avoir été acceptée en interne, la conjoncture nationale et même sous-régionale s’annonce très défavorable pour Jafar Dicko et son mouvement.
Reprise en main des services de sécurité
De fait, après la spectaculaire attaque menée en décembre 2016 contre un détachement antiterroriste burkinabé à Nassoumbou, suivie d’autres actions de moindre ampleur attribuées à Ansaroul Islam, le président burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré, et son gouvernement ont repris en main les services de sécurité en remplaçant le chef d’état-major général de l’armée, le patron de la gendarmerie nationale et le directeur général de la police nationale.
S’y est ajoutée la montée en puissance de l’Agence nationale de renseignement, censée désormais coordonner, sous la direction du colonel François Ouédraogo, le travail de collecte et d’exploitation du renseignement national jusqu’ici éclaté entre plusieurs institutions parfois concurrentes mais jamais complémentaires. Pour sa part, le ministre de la sécurité intérieure, Simon Compaoré, a vu son portefeuille délesté du volet « administration territoriale » afin qu’il puisse se consacrer entièrement à la lutte antiterroriste.
Mais pour Jafar Dicko, la menace la plus pressante devrait venir de la mise en place effective de la force commune du G5 Sahel, qui aura pour mandat spécifique de neutraliser les groupes djihadistes agissant sur les frontières communes au Burkina Faso, au Mali, à la Mauritanie, au Niger et au Tchad. Les contributions financières de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis, annoncées le 13 décembre à Paris, et la décision du Conseil de sécurité des Nations unies d’autoriser la Minusma à apporter son soutien logistique devraient lever les derniers obstacles au déploiement sur le terrain de quelque 5 000 hommes de la force du G5 Sahel.
Affaibli par la disparition brutale de son fondateur et par le coup dur porté par l’opération « Barkhane », Ansaroul Islam va-t-il, sous le leadership de Jafar Dicko, survivre au déploiement de la force du G5 Sahel ?