Pérou : le président Kuczynski évite la destitution
Pérou : le président Kuczynski évite la destitution
Le Monde.fr avec AFP
Accusé de corruption, le président péruvien a été sauvé de justesse, moins de deux tiers des parlementaires ayant voté contre lui.
Le président péruvien Pedro Pablo Kuczynski, en costume gris, s’explique devant le Congrès des accusations de corruption dont il fait l’objet, le 21 décembre. / ERNESTO BENAVIDES / AFP
Le président péruvien Pedro Pablo Kuczynski, qui jouait jeudi 21 décembre sa survie politique face au Parlement contrôlé par l’opposition, a réussi à déjouer les pronostics en se maintenant au pouvoir, la demande de destitution ayant été rejetée. « La demande de destitution pour incapacité morale est rejetée », a déclaré le président du Parlement Luis Galarreta à l’issue du vote, qui a recueilli 79 voix pour, 19 contre et 21 abstentions, après une session marathon. Pour que le président soit destitué, 87 voix sur 130 parlementaires étaient nécessaires.
Mais ce qui semblait à l’origine n’être qu’une formalité, 93 législateurs ayant approuvé l’ouverture du processus, ne semblait plus aussi certain à l’approche du vote, jugeaient les analystes et des sources proches du gouvernement péruvien. « Il semblerait que dans les dernières heures, ils (l’entourage du président, ndlr) aient réussi à convaincre certains parlementaires de gauche (...). Il y a trois jours, j’aurais dit que le sort du président était scellé. A présent, je n’en suis pas si sûr », avait déclaré à l’AFP un haut fonctionnaire proche du chef de l’Etat sous couvert d’anonymat.
Nouveau chapitre
Un sentiment partagé par le cabinet d’analyse Eurasia Group, pour qui les « chances de survie » de M. Kuczynski étaient remontées après la menace de démission des deux vice-présidents en cas de destitution. « Ce qui conduirait à de nouvelles élections et ferait réfléchir à deux fois les législateurs (...) qui ont peur de ne pas être réélus dans un climat de colère » de la population. « Demain, s’ouvre un nouveau chapitre de notre histoire: la réconciliation et la reconstruction de notre pays », a-t-il écrit sur Twitter après le vote.
Bien qu’il ait réussi a sauver sa tête, le président Kuczynski devrait voir « son poids politique diminuer et les tensions avec le Parlement freiner les efforts de son gouvernement pour faire décoller la croissance et l’adoption des principales réformes ».
En cas de destitution, « PPK », comme on le surnomme, aurait été le premier chef de l’Etat débarqué pour ses liens avec Odebrecht, le géant du BTP brésilien qui a reconnu avoir payé près de cinq millions de dollars à des entreprises de conseil directement liées au chef de l’Etat, alors ministre, entre 2004 et 2013. « Je viens prouver mon innocence », a déclaré M. Kuczynski, 79 ans, en ouverture de son discours, peu après 14h30 GMT. Durant près de deux heures trente, il a détaillé sa défense avec son avocat devant le Parlement unicaméral réuni en séance plénière, expliquant qu’aucun des paiements du groupe de bâtiment n’était illégal. « Ce qui est en jeu, c’est la démocratie que le Pérou a eu tant de mal à récupérer », a-t-il ajouté, avant de demander « pardon » pour son manque de rigueur dans la déclaration de ses activités de l’époque.
Le président péruvien est en poste depuis juillet 2016, après avoir battu de peu Keiko Fujimori, la fille de l’ex-chef de l’Etat Alberto Fujimori (1990-2000), emprisonné pour crime contre l’humanité et corruption. Elle dirige depuis l’opposition.
« Tous corrompus »
Dans un message diffusé mercredi soir à la radio et à la télévision, M. Kuczynski avait qualifié la procédure engagée contre lui de « coup d’Etat ». Ancien banquier de Wall Street âgé de 79 ans, M. Kuczynski avait nié dans un premier temps tout lien avec Odebrecht, avant d’être démenti par l’entreprise elle-même. Phrasé posé, cheveux gris et fines lunettes, ce cousin du célèbre réalisateur Jean-Luc Godard a occupé de nombreux postes à responsabilité durant sa carrière, passant du public au privé.
Le gigantesque scandale de corruption Odebrecht a touché, outre le Brésil et le Pérou, des pays comme l’Equateur, le Mexique, le Panama et le Venezuela.
La semaine dernière, le vice-président équatorien Jorge Glas s’est vu infliger six ans de prison pour avoir perçu pour plusieurs millions de dollars de pots-de-vin du groupe brésilien.
La cheffe de l’opposition Keiko Fujimori est également sous le coup d’une enquête dans le cadre du dossier Odebrecht. Appelée à témoigner devant le parquet mercredi, elle a demandé le report de son audition. Signe de la méfiance des Péruviens envers leurs dirigeants, des milliers de personnes ont défilé mercredi à Lima pour exiger le départ de « tous les corrompus ».
Au Pérou, l’ex-président Ollanta Humala (2011-2016) est en détention provisoire, accusé d’avoir reçu trois millions de dollars d’Odebrecht lors de sa campagne électorale.
Un autre ancien président, Alejandro Toledo (2001-2006), est lui visé par un mandat d’arrêt et une demande d’extradition. Soupçonné d’avoir perçu 20 millions de dollars, il se trouve actuellement aux Etats-Unis