« Le taux de retard global des trains s’est dégradé en partie à cause du mauvais état du réseau »
« Le taux de retard global des trains s’est dégradé en partie à cause du mauvais état du réseau »
Le trafic a de nouveau été interrompu à la gare Saint-Lazare mardi. Le symptôme d’une crise de croissance de la SNCF plus que d’un déclin, selon notre journaliste Eric Béziat.
Des voyageurs à la gare de Bercy, le 23 décembre, n’ont pas pu monter à bord de leur train, malgré leur billet. / JACQUES DEMARTHON / AFP
La colère et les critiques à l’encontre de la SNCF semblent intarissables, alors qu’une panne a de nouveau paralysé la gare Saint-Lazare mardi 26 décembre. Il s’agissait du quatrième incident d’ampleur depuis cet été dans une gare parisienne. Mais, à regarder les chiffres sur les onze premiers mois de l’année, les problèmes actuels ressemblent davantage à une crise de croissance qu’aux signes avant-coureurs d’un inévitable déclin.
Notre journaliste Eric Béziat, spécialiste des questions de transport, a répondu aux questions des internautes.
Loup : Pourquoi y a-t-il encore des accidents au niveau des passages à niveau ? Pourquoi n’y a-t-il aucun investissement pour plus de sécurité ? Pourquoi les Japonais arrivent à obtenir moins de deux heures de retard sur tout leur réseau ferroviaire sur une année entière ?
Selon la SNCF, 99 % des accidents à un passage à niveau sont dus au non-respect du code de la route. Ce serait donc le comportement des usagers de la route qui provoquerait l’immense majorité des accidents. Le meilleur moyen de mettre fin aux accidents serait de supprimer les 15 000 passages à niveau qui jalonnent le réseau français. L’opération coûterait 100 milliards d’euros. Autrement dit, c’est impossible.
Actuellement, la SNCF y consacre 40 millions d’euros par an et en supprime cinq à sept chaque année. Elle teste aussi des équipements de sécurité expérimentaux comme les détecteurs d’obstacles qui repèrent un franchissement illicite et envoient un ordre de freinage au train qui arrive.
Asyla : Quelle est l’augmentation du prix moyen du billet de TGV sur les dix dernières années ?
Difficile de donner une réponse précise à cette question importante, car les prix des billets TGV sont désormais gérés comme les billets d’avion ou les chambres d’hôtel selon la technique dite du yield management, c’est-à-dire en fonction du taux d’occupation. Cela dit, le sentiment qu’ont les usagers de payer de plus en plus cher leurs billets de train est bien réel. Il s’explique par la nécessité qu’a la SNCF d’intégrer dans ses prix le coût des péages de plus en plus élevés versés à SNCF Réseau (qui en a besoin pour rembourser sa gigantesque dette), en particulier sur les lignes à grande vitesse. Selon l’autorité de régulation ferroviaire, l’Arafer, les péages représentent 38 % du prix d’un billet TGV.
La SNCF a conscience du problème et s’est, par conséquent, lancée dans une politique de petits prix, en particulier avec ses TGV low cost Ouigo (qui, justement, ne desservent que rarement les gares parisiennes afin de faire baisser le coût global du péage).
Toscanepl : Une privatisation du réseau ferroviaire est-elle envisageable et, si oui, qu’adviendrait-il du réseau régional TER, sans doute beaucoup moins rentable que le réseau grandes lignes. Merci.
Aucune privatisation du réseau ferroviaire n’est à l’ordre du jour, ni même une privatisation de SNCF Mobilités qui serait plus probable. En revanche, la mise en concurrence de la SNCF – avec d’autres opérateurs privés ou publics d’autres pays – est prévue par les textes européens dès 2019 pour les liaisons commerciales, c’est-à-dire le TGV, et au plus tard en 2023 pour les lignes régionales conventionnées.
quiza : On dit souvent que la SNCF est en déficit, à combien s’élève ce dernier et que font nos voisins européens en comparaison ? Merci !
La SNCF n’est pas en déficit. Elle a dégagé un bénéfice de 567 millions d’euros en 2016 et dégagera un profit encore plus important cette année. En revanche, elle est très endettée, en particulier la partie Réseau, dont la dette s’élevait à 44 milliards d’euros à fin juin et pourrait tutoyer les 46 milliards en fin d’année. Au total, si on additionne la dette de SNCF Réseau et celle de SNCF Mobilités, l’endettement du groupe ferroviaire se montait à 52 milliards d’euros à la mi-2017.
Rosy : Jusqu’à quand Pepy peut-il tenir à la tête de la SNCF ?
Guillaume Pepy est président du directoire du groupe SNCF et PDG de SNCF Mobilités. Son second mandat se termine en juillet 2020 (comme celui de Patrick Jeantet, président délégué du directoire et PDG de SNCF Réseau). Il a publiquement affirmé qu’il ne souhaitait pas être reconduit pour un troisième mandat.
Jusqu’ici, aucun signal n’est parvenu du gouvernement indiquant que M. Pepy pourrait être limogé avant le terme de son mandat, mais il est révocable à tout moment en conseil des ministres par le président de la République. Et il vient d’être convoqué le 8 janvier, avec Patrick Jeantet, par la ministre des transports, Elisabeth Borne, pour « tirer ensemble le bilan de ces incidents » et présenter leurs « analyses et les actions engagées ».
Greg : Globalement, le nombre d’incidents est-il significativement à la hausse par rapport aux années précédentes ? Si oui, la SNCF a-t-elle réellement les moyens de corriger durablement cette mauvaise tendance ?
Les incidents du genre pannes, blocages, gros retards, ralentissements majeurs sont difficiles à quantifier. Le taux de retard global des trains est, bon an, mal an, de 10 %, sans grand changement. Ce taux s’est dégradé ces dernières années. Plusieurs facteurs sont en cause. Les ralentissements dus au mauvais état du réseau, les travaux de nuit qui durent plus longtemps que prévu ; mais aussi des problèmes techniques dans les ateliers de maintenance qui livrent les trains en retard.
De fait, les pannes spectaculaires ont été nombreuses cette année, dont au moins deux majeures à la gare Montparnasse, les deux liées aux conséquences de travaux de modernisation. Depuis, l’attention médiatique et politique s’est focalisée sur les incidents. Pas sûr que les problèmes du 26 décembre à Saint-Lazare auraient fait les gros titres s’il n’y avait pas eu auparavant cette série d’incidents.
monsieurbend : Plutôt que de développer des LGV au coût exorbitant et aux billets très chers, pourquoi la SNCF ne consacre-t-elle pas des investissements à changer les rails et au développement des Intercités accessibles à tous ?
C’est justement ce qui change depuis quelques années. Une prise de conscience générale sur les besoins de renouvellement du réseau a réorienté les investissements vers le réseau actuel le plus utilisé. Dans les années 1990, on rénovait deux fois moins de kilomètres de lignes qu’aujourd’hui ; cela a changé dans les années 2010.
Isa : Y a-t-il des chiffres actualisés qui donneraient un état des lieux de l’état de santé du réseau ferré français ? Combien de kilomètres au total ? Combien de kilomètres qui doivent être remis à niveau ? Quels investissements programmés ?
Avec 28 800 kilomètres de lignes exploitées, le réseau ferré français est le deuxième plus grand en Europe après celui de l’Allemagne. Son âge moyen est de 31 ans (19 ans pour les lignes à grande vitesse, hors les quatre nouvelles lignes ouvertes en 2016 et 2017). On notera que 50 % des circulations se font sur 9 % du réseau, en particulier en Ile-de-France. A l’inverse, un tiers des voies ferrées ne voient passer que 1 % des trains.
La SNCF et l’Etat ont signé un contrat de performance prévoyant 46 milliards de travaux de rénovation sur un réseau de plus en plus ralenti d’ici à 2026. Cette année, 4,6 milliards d’euros ont été dépensés en travaux divers. Au total 1 600 chantiers, la plupart de nuit, sont en cours sur le réseau ferré national.
La ministre des transports demande des comptes à la SNCF
La ministre des transports, Elisabeth Borne, a écrit aux dirigeants de la SNCF, mercredi 27 décembre, pour leur demander des comptes à la suite de la « succession d’incidents importants et médiatisés » survenus ces derniers jours dans les gares parisiennes de Montparnasse, Bercy et Saint-Lazare.
« Tous ces incidents n’ont pas le même niveau de gravité. Pourtant, pour beaucoup, et notamment pour les voyageurs touchés par ces incidents, la répétition de ces situations apparaît incompréhensible et suscite une légitime exaspération », a souligné Mme Borne dans un courrier dont l’Agence France-Presse a obtenu une copie.
La ministre a convoqué le patron du groupe public et président de SNCF Mobilités, Guillaume Pepy, et le président de SNCF Réseau, Patrick Jeantet, le 8 janvier pour qu’ils puissent « tirer ensemble le bilan de ces incidents » et qu’ils présentent leurs « analyses et les actions engagées ».