En chirurgie, des patients virtuels pour se faire la main
En chirurgie, des patients virtuels pour se faire la main
Par Ondine Debré
La figure de l’étudiant en médecine devant la table d’anatomie en marbre de l’austère faculté a vécu, le nombre de cadavres disponibles pour l’entraînement des apprentis chirurgiens étant insuffisant.
Le chirurgien Roman Hossein Khonsari et l’artiste Donatien Aubert ont modélisé en imagerie 3D plusieurs crânes fracturés (ici, par balle). Cela permet de voir sous tous les angles la moindre fracture des os de la tête. / EnsadLab/PSL
L’adage « See one, teach one, do one » (« Voir, enseigner, faire ») n’est plus vraiment d’actualité dans les salles d’intervention. En effet, le nombre de cadavres disponibles pour l’entraînement des apprentis chirurgiens est insuffisant. Pas de quoi rassurer les patients qui s’apprêtent à passer sous le scalpel du novice…
Heureusement, le numérique est passé par là. « Le problème n’est pas le savoir, mais le savoir-faire. Les étudiants ont à leur disposition une quantité immense de connaissances auxquelles ils ont accès depuis leur ordinateur. Ils nous arrivent très savants », résume le professeur Alexandre Mignon, qui a créé iLumens avec son collègue Antoine Tesnière, vice-doyen de l’université Paris-Descartes. Cette plate-forme ultramoderne d’enseignement de la médecine et des métiers médicaux par la simulation est opérationnelle sur trois sites parisiens : Paris-Diderot, Paris-Descartes et Paris Nord. Les étudiants « très savants » y opèrent en trois dimensions, sur un écran permettant un apprentissage anatomique très poussé et rendant le cours magistral quasiment obsolète.
Des corps en silicone
Parmi les innovations, des corps humains parfaitement reproduits en silicone – dont le prix oscille entre 75 000 et 100 000 euros – qui saignent, parlent, palpitent, fibrillent, embolisent… Une mise en scène concrète pour apprendre de multiples gestes chirurgicaux souvent vitaux, parfois dans les conditions les plus « limites ». Ainsi de cette femme enceinte factice qui offre aux futurs obstétriciens et sages-femmes l’occasion de se frotter virtuellement aux difficultés d’un accouchement par le siège.
Moins spectaculaires, mais tout aussi utiles, des parties anatomiques plus ciblées permettent aux carabins de s’essayer à la ponction lombaire ou au toucher vaginal, sans avoir besoin de passer les uns après les autres en salle d’opération devant une patiente endormie, comme ce fut le cas par le passé.
Le contact avec le patient reste l’essentiel de l’apprentissage de la médecine. Or, s’étonne le Pr Mignon, « aucune formation aux relations patients-médecins n’était dispensée dans les hôpitaux. Nous avons institué ici, au sein de l’université, des sessions avec des comédiens pour apprendre aux étudiants les bases de cette relation fondamentale à notre métier ». La réalité virtuelle est là aussi précieuse, qui permet la création de jeux vidéo, les « serious games », où le patient virtuel rencontre le vrai étudiant en médecine, qui peut évaluer les symptômes et soigner son patient dans une chambre d’hôpital reproduite sur ordinateur et dont la lumière crue n’a rien à envier aux vraies.
Des crânes de 20 mètres de haut
Parfois, l’innovation prend des allures de science-fiction. C’est le cas quand on chausse les lunettes de Roman Hossein Khonsari, chirurgien maxillo-facial à l’hôpital Necker. Grâce à des casques de réalité virtuelle et à la modélisation en imagerie 3D de plusieurs crânes fracturés – pour lesquels le jeune médecin s’est associé à l’artiste Donatien Aubert –, il est maintenant possible de se promener dans des crânes de 20 mètres de haut et de voir, concrètement et sous tous les angles, la moindre fracture des os de la tête.
« L’enseignement de cette chirurgie de la face est compliqué car il existe une quinzaine de fractures. Jusqu’à présent, la reconstitution en 3D de scanners permettait une bonne approche, mais restait assez théorique, explique le docteur Khonsari dans son bureau de l’hôpital des enfants malades, à Paris. C’est beaucoup plus marquant pour la mémoire de se retrouver à l’échelle des fractures, et de les explorer de l’intérieur. »
Approcher le crâne comme une œuvre d’art, en concevoir des répliques dans lesquelles on peut entrer et représenter les fractures à grande échelle renouvelle l’enseignement de la chirurgie maxillo-faciale, l’une des disciplines les plus difficiles. Une quinzaine de modèles de crânes fracturés existent déjà en réalité virtuelle, tous inspirés de vraies blessures causées par des armes à feu, des défenestrations ou des accidents sur la voie publique. Un enseignement virtuel pour réparer des corps bien réels.