« Comparée à Xynthia en 2010, la tempête Eleanor n’a rien d’exceptionnel »
« Comparée à Xynthia en 2010, la tempête Eleanor n’a rien d’exceptionnel »
Propos recueillis par Rémi Barroux
Frédéric Nathan, prévisionniste à Météo France, estime que les conséquences de cette dépression météorologique ont été aggravées par des températures particulièrement douces.
A Marseille, lors du passage de la tempête Eleanor, le 4 janvier. / JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS
La tempête Eleanor a causé d’importants dégâts en France, lors de son passage mercredi 3 et jeudi 4 janvier. Faisant trois morts et une vingtaine de blessés, à l’origine d’incendies en Corse, d’inondations sur le littoral et d’avalanches dans les Alpes, cette tempête et ses très forts vents, si elle n’est pas en soi exceptionnelle, a des conséquences aggravées par des températures particulièrement douces. Frédéric Nathan, prévisionniste à Météo France, fait le point.
La tempête Eleanor présente-t-elle un caractère exceptionnel ?
Non. Comparée à Xynthia en février 2010, aux tempêtes de l’hiver 1999, cette dépression météorologique n’a rien d’exceptionnel. Pour Xynthia, les vents avaient soufflé jusqu’à 170 km/h à Paris, alors qu’ils ont été enregistrés à 111 km/h par exemple lors du passage d’Eleanor. Sur l’île d’Oléron, leur vitesse était de 200 km/h.
Les tempêtes Martin et Lothar (décembre 1999) ont été plus dévastatrices. Mais, les vents constatés ces derniers jours ont été intenses : ils ont soufflé très fort en Corse, jusqu’à 196 km/h sur le Cap et un record absolu, le plus élevé jamais enregistré dans cette ville, a même été établi à Cambrai (Nord) avec 147 km/h.
La succession, à un rythme rapide, des tempêtes, Bruno, Carmen et Eleanor est-elle inhabituelle ?
Quand on se trouve dans une configuration d’air doux, 7 °C à 8 °C au-dessus des normales saisonnières, qui entre en conflit avec l’air très froid des régions polaires se créent des zones de changements très rapides de température, ce qui est favorable au développement de tempêtes.
La multiplication sur une période courte de ces événements n’est pas non plus exceptionnelle. Rappelons-nous les épisodes successifs de décembre 2013 à février 2014, qui ont causé des dégâts très nombreux sur les bords de mer, avec de fortes crues.
Le réchauffement climatique est-il responsable ?
On ne peut incriminer le réchauffement climatique dans ce que l’on vit ces derniers jours. Nous connaissons peut-être plus de périodes avec des températures plus douces, mais les tempêtes existent depuis toujours. La situation est différente d’avec les ouragans et les tempêtes tropicales, où l’on peut prévoir des épisodes plus violents, d’intensité 4 ou 5, mais pas forcément plus nombreux.
Pour ce qui est des tempêtes que l’on connaît en Europe, les climatologues prévoient plus de pluie sur le nord du continent, et moins de précipitations sur le sud de l’Europe. La France est entre les deux : on ne sait pas, nous nous trouvons dans une zone d’incertitude. Dans la région méditerranéenne, on peut estimer qu’il y aurait moins d’événements précipitant mais que, dans les cas des épisodes cévenols par exemple, ils pourraient être plus intenses.
Lors du passage d’Eleanor, on a constaté des phénomènes aussi variés qu’intenses, comme des avalanches, des inondations et même des incendies ? Existe-t-il un lien entre ces événements extrêmes ?
La tempête amène un air doux, beaucoup de précipitations, et la fonte des neiges présentes est accentuée. Et les vents violents déclenchent les avalanches d’autant que la neige est moins fixée. Tout le package est réuni pour causer ces avalanches.
Pour les incendies, c’est une autre histoire. Ce qui est exceptionnel c’est que l’on connaisse encore des feux importants en cette période, ce qui est dû à des sécheresses sévères, comme la Corse en a connu dernièrement. Les inondations sont aussi dues à la conjonction des précipitations et des vents à de forts coefficients de marée.
Donc, on peut avoir l’impression que tout s’enchaîne mais en réalité ces conséquences naturelles sont assez différentes. Et je ne pense pas qu’elles soient plus nombreuses aujourd’hui qu’hier. C’est la société qui est plus vulnérable, avec l’urbanisation, les transports… En décembre 1999, les tempêtes, c’étaient du jamais vu depuis au moins quatre siècles.
Les trajectoires des tempêtes, telles que vous les observez, ont-elles changé ?
Non, elles se forment généralement sur l’Atlantique et donc viennent de l’Ouest. En 1999, la situation était assez exceptionnelle puisque la cyclogénèse s’est faite sur le pays, en Bretagne. Au lieu d’arriver par les côtes puis de perdre en intensité en survolant les terres, les vents se sont renforcés à l’intérieur du pays.
Pour ce qui est de la période, la saison des tempêtes hivernales est sensiblement la même, de novembre à mars, même si on peut en observer parfois de plus tardives. A partir du printemps, on parle plutôt de fronts orageux qui peuvent, eux aussi, générer des vents violents.
Apprend-on des éléments nouveaux à chaque tempête ?
Après le passage des tempêtes fin 1999, nous avons essayé de comprendre ce que l’on n’avait pas pu analyser à l’époque. Nos modèles ne nous avaient alors pas permis de prévoir des vents aussi violents. Nous les avons améliorés, notamment les temps de calcul, grâce à des ordinateurs beaucoup plus puissants.
Aujourd’hui, on fonctionne assez bien sur la prévision des tempêtes. On travaille avec plusieurs modèles, français, européen, américain, anglais… Le matin, en arrivant vers 6 heures ou 7 heures, nous regardons si nos modèles correspondent aux relevés instantanés. Nous faisons les comparaisons et déterminons quel est le modèle le mieux calé sur la réalité. Nous le choisissons alors pour réaliser nos prévisions sur l’évolution de la tempête.