Contre les violences faites aux femmes, un metteur en scène revisite la fin de « Carmen »
Contre les violences faites aux femmes, un metteur en scène revisite la fin de « Carmen »
Le Monde.fr avec AFP
Leo Muscato présente à Florence une version insolite du célèbre opéra de Bizet, dont il a réécrit le finale, « parce qu’on ne peut pas applaudir le meurtre d’une femme ».
Et à la fin, c’est Carmen qui tue Don José… Le metteur en scène Leo Muscato présente à Florence une version insolite du célèbre opéra de Bizet, dont il a réécrit le finale « parce qu’on ne peut pas applaudir le meurtre d’une femme ».
« L’idée m’a été suggérée par le directeur du théâtre, qui voulait que je trouve un moyen pour ne pas faire mourir Carmen. »
« Il estime qu’à notre époque, marquée par le fléau des violences faites aux femmes, il est inconcevable qu’on applaudisse le meurtre de l’une d’elles », a ajouté le metteur en scène, qui présente dans la capitale toscane une version contemporaine de Carmen. Leo Muscato admet avoir d’abord été « déconcerté » par la demande, le destin de mort de Carmen constituant le moteur du chef-d’œuvre de Georges Bizet.
Créé le 3 mars 1875 à l’Opéra-Comique, à Paris, il est l’un des opéras les plus joués au monde. Avant même d’avoir été vu, le spectacle florentin — dont la première est prévue le 7 janvier au Teatro Maggio — suscite d’âpres débats parmi les critiques, certains saluant la démarche du metteur en scène, ancrée dans la réalité contemporaine, tandis que d’autres crient au sacrilège.
Dans l’œuvre de Bizet, Carmen, un Gitane séductrice et rebelle, est poignardée par le brigadier Don José, fou d’amour pour elle, qui la poursuit de sa jalousie. « Un mois après la proposition du directeur, je suis revenu avec ma solution où Carmen ne meurt pas mais se défend contre son agresseur d’une façon inattendue, comme n’importe qui le ferait à sa place », explique Leo Muscato.
Le crime, seule issue
Sans dévoiler le ressort dramatique qu’il utilise, le metteur en scène laisse entendre que le crime est la seule issue possible pour une femme sur le point d’être tuée. Et il assure avoir respecté scrupuleusement la musique et le livret originaux.
« Don José se rend compte que le fait d’avoir poussé Carmen à un geste aussi extrême revient à l’avoir tuée et ses dernières paroles “Vous pouvez m’arrêter. C’est moi qui l’ai tuée” prennent alors une dimension symbolique. »
Autre liberté prise par Leo Muscato, celle de situer sa Carmen dans un camp de Roms au début des années 1980. Il met en scène l’évacuation du campement, occupé illégalement, par des forces de l’ordre en tenue antiémeute.
« Bizet avait situé “Carmen” en 1830, soit quarante-cinq ans avant sa première représentation. J’ai donc mis la même distance entre ma version et le moment où elle est jouée, pour que les spectateurs soient placés dans les mêmes conditions temporelles vis-à-vis de l’œuvre. »
Eviter le manichéisme
Carmen, qui travaille dans une manufacture de cigarettes voisine du camp, est soumise aux coups de matraque répétés de Don José, un policier irascible et violent.
« Mais ce n’est pas une violence gratuite, car on pourrait facilement tomber dans une vision manichéenne des choses avec d’un côté les hommes affreux, sales et méchants et de l’autre les femmes gentilles », explique Leo Muscato.
« Don José est un homme qui combat ses démons intérieurs, il a des moments de douceur et de générosité, puis des accès de grande violence, comme cela arrive dans les foyers où sévissent les violences conjugales », observe-t-il.
Une analyse que Leo Muscato dit avoir puisée à la source de l’œuvre. La nouvelle de Prosper Mérimée, qui inspira l’opéra, débute par une citation du poète grec Palladas en épigraphe :
« Toute femme est amère comme le fiel, mais elle a deux bonnes heures, une au lit, l’autre à sa mort. »