Les droits de l’homme, épine des voyages présidentiels en Chine
Les droits de l’homme, épine des voyages présidentiels en Chine
Par Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
Le problème du non-respect des droits fondamentaux n’a cessé de s’inviter dans l’actualité avant le voyage de Macron à Xi’an et Pékin, du 8 au 10 janvier.
Des militants pro-démocratie lors d’une manifestation de soutien à Wu Gan, le 27 décembre 2017 à Hongkong. / Kin Cheung / AP
Les visites présidentielles en Chine ne sont pas le meilleur moment pour soulever la question des droits de l’homme. Il faut évoquer les multiples sujets de coopération, dans le cadre du « partenariat stratégique global » noué avec ce pays. Pourtant, le problème du non-respect des droits fondamentaux n’a cessé de s’inviter dans l’actualité à l’approche du voyage d’Emmanuel Macron à Xi’an et Pékin, du 8 au 10 janvier. La Chine du président Xi Jinping continue de distribuer à tour de bras des condamnations disproportionnées, sans aucun souci de procès équitable.
Le militant Wu Gan, dit « le boucher super vulgaire » en raison de sa verve, a été condamné le 26 décembre 2017 à huit ans de prison pour subversion. Il est accusé d’avoir conspiré avec des « pétitionnaires professionnels, des avocats et des personnes impliquées dans des activités religieuses illégales » pour renverser le système socialiste sous couvert de « performance artistique » et de « défense des droits » – bref, tout ce qui, partout ailleurs, formerait la société civile. M. Wu, dans un communiqué rendu public par son avocat, a remercié les juges pour « ce grand honneur » et promis qu’il « travaillerait encore plus ardemment ».
Le tabou de la langue tibétaine
Quelques jours plus tard, le 4 janvier, un tribunal de la région tibétaine de Yushu jugeait un Tibétain, Tashi Wangchuk, détenu depuis deux ans, pour « incitation au séparatisme ». Le verdict n’a pas encore été prononcé, mais il risque jusqu’à quinze ans de prison. Ce petit entrepreneur avait tenté de faire connaître, à Pékin, les difficultés pour les parents de donner une éducation en tibétain à leurs enfants, comme le prévoit la Constitution chinoise, un motif constant de ressentiment chez les Tibétains, qui voient le mandarin s’imposer. Filmé par le New York Times, il s’était rendu dans la capitale, avait essayé de contacter un avocat et de proposer le sujet à la télévision centrale CCTV. On lui avait opposé une fin de non-recevoir, tant le sujet est tabou.
Cette vidéo a été la principale pièce à conviction du procès – un abus criant de la qualification d’incitation au séparatisme, a dénoncé Amnesty International. « Tashi Wangchuk n’a rien d’un séparatiste, il a cru pouvoir défendre la langue tibétaine à travers la Constitution chinoise. Mais sous Xi Jinping, même ça, c’est aller trop loin. Il a aussi mentionné dans la vidéo le fait que les Tibétains s’immolent en signe de protestation, or le régime cherche toujours à mettre ces suicides sur le compte de disputes de famille », dit la tibétologue française Katia Buffetrille.
Quant à Liu Xia, la veuve du Prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, elle n’est accusée d’aucun crime, mais reste soumise à un contrôle de tous les instants, et privée de la liberté de sortir du pays. Selon un proche, qui lui a parlé fin décembre 2017, elle « continue d’aller très mal et de souffrir d’une grave dépression ». Mme Liu a aussi fait comprendre à cet ami qu’elle souhaite toujours quitter la Chine.
« Attribuer le prix Nobel de la paix à Ilham Tohti »
Une demi-douzaine de conseillers de l’Elysée ont reçu tout début janvier, à la demande de la sinologue Marie Holzman, plusieurs représentants d’ONG (Reporters sans Frontières, Human Rights Watch, Solidarité Chine…). « J’avais écrit une lettre. Ils ont répondu très vite et ont été très réactifs, ils manquaient visiblement d’informations », dit Mme Holzman, qui préside l’association Solidarité Chine. Après avoir recollé les morceaux de l’ère Sarkozy, la présidence Hollande, estime-t-elle, fut la plus neutre possible : « Il importait surtout d’essayer de se mettre bien avec les Chinois ». Avec M. Macron, « l’espoir est qu’avec un nouveau président plus jeune et qui donne l’impression d’être plus pragmatique, on ait une petite lucarne d’opportunité pour qu’il s’exprime de manière plus nette », dit-elle.
L’universitaire ouïgour Ilham Tohti, pendant son procès, en 2014. / REUTERS TV
La sinologue a insisté sur le cas de Liu Xia, « qui peut être évoqué en toute impunité, puisque celle-ci n’est accusée d’aucun crime par la Chine ». Mme Holzman a également exposé la dégradation de la situation des droits au Tibet et dans la Région autonome ouïgoure du Xinjiang. « C’est au-delà de tout ce qu’Orwell aurait pu imaginer. La répression du pouvoir chinois actuellement au Xinjiang est à proprement parler horrible et dépasse ce que l’on peut exprimer avec des mots. Dans ce contexte-là, nous appelons à l’attribution du prix Nobel de la paix à Ilham Tohti, car ne pas parler de la répression au Xinjiang n’est pas acceptable », dit-elle. L’universitaire ouïgour Ilham Tohti, qui a toujours défendu le dialogue intercommunautaire, a été condamné à la prison à vie en 2014 au terme d’un procès relevant de la parodie de justice.
Une camisole de force pour la société civile
Du côté de l’Elysée, le principe, dans les voyages présidentiels, est de ne rendre publique aucune démarche : « Avec la Chine comme avec tous les autres pays, nous abordons ces questions mais, compte tenu de leur nature et dans un souci d’efficacité, autrement qu’en développant les cas publiquement », a précisé l’entourage de M. Macron le 4 janvier. Les reproches aux Chinois se veulent subtils. Il s’agit « de s’appuyer sur le désir affirmé des Chinois de s’engager davantage en faveur du multilatéralisme et sur les dossiers internationaux », a-t-on expliqué à Mme Holzman. Enfin, l’Elysée a fait savoir que participeront à la délégation française des représentants des professions juridiques (notaires, avocats, huissiers), dans le cadre de la coopération en matière d’état de droit et de justice – une coopération de longue date.
L’ampleur des violations dans la Chine de Xi Jinping est sous-estimée, jugent les spécialistes : la Chine est perçue comme autoritaire, certes, mais dans des proportions que justifieraient la taille de sa population et la crainte de toute instabilité politique dans un si vaste pays. Or, dans son obstination à rendre sacro-saint et intouchable le Parti communiste, Xi Jinping a placé la société civile dans une camisole de force. Les abus de pouvoir au sein de l’institution policière et judiciaire sont systématiques, assumés et impunis. « Si on insiste tant auprès de l’Elysée sur les violations des droits de l’homme en Chine, c’est pour les mettre en garde, leur montrer qu’en interne, les dirigeants chinois ne cessent de dire qu’ils refusent de reconnaître les valeurs universelles, et même sont partis en guerre contre elles. On ne peut pas oublier que la Chine est ce genre de pays », rappelle Marie Holzman.