« Dans la famille Coates, après le fils néolibéral, je demande le père humaniste »
« Dans la famille Coates, après le fils néolibéral, je demande le père humaniste »
Par Abdourahman Waberi (chroniqueur Le Monde Afrique)
Notre chroniqueur nous fait découvrir la richesse du parcours de l’éditeur africain-américain Paul Coates, père de Ta-Nehisi qui fut au cœur d’une virulente polémique.
Le 17 décembre 2017, la foudre a tonné dans le ciel des intellectuels américains lorsque le tempétueux philosophe Cornel West, 64 ans, s’en est pris au journaliste et essayiste Ta-Nehisi Coates, figure montante de 42 ans. Au-delà du choc des ego, le différend porte sur le legs des deux présidences de Barack Obama. Plus généralement, le professeur de Harvard a accusé son cadet d’être « le visage néolibéral de la lutte pour les droits des Noirs », qualifiant sa pensée d’« étroite » et de « dangereusement trompeuse » par son refus de considérer le système capitaliste comme l’un des éléments clés de l’oppression des minorités. La passe d’armes a provoqué une avalanche de commentaires dans la presse et dans la blogosphère. L’occasion pour nous de tracer le portrait de Paul Coates, le père de l’auteur d’Une colère noire (éd. Autrement, 2015, préface d’Alain Mabanckou), qui a un parcours peu banal.
Paul Coates est un homme riche de maintes façons, même si son train de vie et son compte en banque restent modestes. Si vous entrez son nom dans un moteur de recherche, vous risquez de faire chou blanc. Bien sûr, vous apprendrez qu’il est le père de Ta-Nehisi Coates, le célèbre écrivain et intellectuel africain-américain, qui a parfois évoqué son géniteur dans ses essais. A défaut de vous rendre à Baltimore, mégapole largement noire durement frappée par la crise économique et les fléaux sociaux, il ne vous reste plus qu’à glaner ici et là des bribes d’information sur cet homme à la tête haute et aux épaules larges.
Du Vietnam aux Black Panthers
Né en 1947, Paul Coates s’est engagé dans l’armée américaine comme nombre de jeunes fuyant la misère pour la jungle du Vietnam. En butte aux brimades racistes, le soldat Coates s’aguerrit, mais la plus grande découverte de sa vie reste le pouvoir émancipateur de la lecture. Il consolide son armature psychique avec les armes miraculeuses que lui fournissent les auteurs africains-américains tels que Richard Wright, James Baldwin, Dick Gregory ou Malcolm X. Après dix-huit mois de service militaire, Paul Coates est de retour à Baltimore en 1967. Séduit par l’ancrage social des Black Panthers, il rejoint leurs rangs. Mais la singularité de sa démarche se situe ailleurs.
Si vous persévérez dans votre recherche, vous finirez par découvrir que Paul Coates est le fondateur et directeur des éditions Black Classic Press, qui impriment et distribuent des œuvres entièrement dédiées à la communauté africaine-américaine et signées par des grands noms, à l’instar de W.E.B. Du Bois et de Cartes G. Woodson. Une grande part de son catalogue est consacrée à la réédition d’ouvrages épuisés et ignorés par le milieu éditorial.
La maison d’édition est fondée en 1978 dans le garage de Paul Coates, et c’est un jeune auteur de polar alors inconnu, Walter Mosley, qui la fait connaître au grand public en 1997. Celui qui n’est pas encore le romancier, dramaturge, producteur et scénariste connu pour ses enquêtes policières adaptées par Hollywood (Le Diable en robe bleue, avec Denzel Washington) publie chez Paul Coates trois livres dont les droits nationaux et internationaux sauveront littéralement cette petite entreprise vertueuse revenue de loin.
Des décennies de dur labeur
De fait, nul n’aurait pu parier un dollar sur cette affaire tant les débuts furent modestes, pour ne pas dire hasardeux. Tout commence en 1972 par un petit groupe d’amis qui collecte des livres militants destinés aux détenus dans le but, selon les mots de Paul Coates, de sauvegarder leur âme et leur esprit. De fil en aiguille, le projet donne naissance à une librairie, puis, quelques années plus tard, à Black Classic Press, qui finit par se doter de son imprimerie.
Après toutes ces décennies de dur labeur, Paul Coates n’a pas fait fortune et les ressources de la maison d’édition proviennent essentiellement du secteur de l’impression numérique. Mais sa vraie richesse est à chercher ailleurs. Imprimer des dépliants, des brochures et des affiches n’est qu’un moyen pour continuer de publier les auteurs qui lui sont chers et qui maintiennent vivace l’esprit de sa communauté.
A la fois éditeur et conservateur de la bibliothèque de Howard, la plus grande université noire du pays, à Washington, Paul Coates tient le travail, l’autonomie, le partage et la solidarité pour des valeurs cardinales à transmettre à ses nombreux enfants. Des valeurs qui sont loin d’être néolibérales.
Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti. Il vit entre Paris et les Etats-Unis, où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à George-Washington University. Auteur, entre autres, d’Aux Etats-Unis d’Afrique (éd. J.-C. Lattès, 2006) et de La Divine Chanson (éd. Zulma, 2015). En 2000, Abdourahman Waberi avait écrit un ouvrage à mi-chemin entre fiction et méditation sur le génocide rwandais, Moisson de crânes (ed. Le Serpent à plumes), qui vient d’être traduit en anglais, Harvest of Skulls (Indiana University Press, 2017).