La Catalogne suspendue aux desiderata de Carles Puigdemont
La Catalogne suspendue aux desiderata de Carles Puigdemont
Par Sandrine Morel (Madrid, correspondance)
Le souhait de l’ex-président d’être réélu, même à distance depuis Bruxelles, divise.
Carles Puigdemont, le 21 décembre 2017 à Bruxelles. / Virginia Mayo / AP
Qui prendra le risque de braver une nouvelle fois la loi pour permettre l’investiture à distance de Carles Puigdemont, toujours « exilé » en Belgique, comme nouveau président de la Catalogne ?
L’ancienne présidente du Parlement catalan, Carme Forcadell, poursuivie par la justice pour son rôle dans le vote de lois inconstitutionnelles lors de la dernière législature, y a renoncé. Jeudi 11 décembre, elle a annoncé qu’elle « [cédait] la présidence du Parlement » pour que celle-ci soit occupée par une personne qui n’est pas mise en examen.
L’ancien ministre catalan de la justice, Carles Mundo, lui aussi de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), pressenti un temps pour la remplacer, a annoncé le 9 janvier qu’il abandonnait la politique « pour des raisons personnelles » et reprenait sa carrière d’avocat. En novembre 2017, ce dirigeant réputé modéré a passé un mois en détention préventive. Il est toujours mis en examen pour « rébellion, sédition et malversation de fonds publics », comme l’ensemble des anciens membres du gouvernement de Carles Puigdemont.
Deux voies ouvertes
Le président catalan déchu, réfugié à Bruxelles pour fuir la justice espagnole, n’en démord cependant pas et fait pression sur ses alliés politiques en faisant fuiter des rumeurs sur de possibles accords. Le dirigeant indépendantiste n’entend pas tomber dans l’oubli, depuis la Belgique, avec ce qu’il reste de son gouvernement fantôme en « exil ».
L’ancien président, destitué par Madrid après la déclaration d’indépendance du 27 octobre 2017, sait que s’il pose un pied en Espagne, où il est mis en examen pour « rébellion », il sera arrêté. Mais il considère qu’il lui reste un rôle à jouer et deux voies ouvertes pour le faire : présider la Catalogne à distance, par vidéoconférence, ce que la presse espagnole a surnommé ironiquement la « skype-présidence », ou rentrer à Barcelone, éventuellement accompagné de milliers de personnes, pour se livrer à la justice après avoir été réélu à la tête de la région. Comme il l’avait promis à ses électeurs durant la campagne pour les élections du 21 décembre qui ont redonné la majorité aux indépendantistes.
La Gauche républicaine de Catalogne, dont M. Puigdemont a besoin pour être réélu, a prévenu qu’elle attendrait le feu vert des services juridiques du Parlement catalan avant de se prononcer sur son investiture à distance. « Il y a des aspects technico-judiciaires qu’il ne revient pas à ERC de mesurer », a tranché Roger Torrent, le porte-parole d’ERC, dont le candidat naturel reste son président, Oriol Junqueras, placé en détention préventive. Or, selon le quotidien La Vanguardia, les avocats de la Chambre régionale estimeraient, à l’unanimité, que l’investiture doit se faire en présence, physique, du candidat. Ni par voie télématique, ni par le biais d’un autre député qui lirait son texte, ni par écrit.
Crainte d’un nouveau blocage
Pour Ines Arrimadas, dirigeante de Ciudadanos, le parti unioniste arrivé en tête aux élections du 21 décembre, un fugitif ne peut pas présider la région : « On ne peut pas avoir un président hologramme qui dirige la Catalogne par Skype de Bruxelles », a-t-elle estimé. Même le parti de la gauche radicale Catalogne en commun, dont l’abstention pourrait devenir indispensable pour l’investiture, si les exilés et prisonniers ne peuvent finalement pas voter au Parlement, a qualifié d’« inimaginable » le fait de gouverner depuis Bruxelles. « Cela conduirait à un nouveau blocage du pays », a tranché la porte-parole Elisenda Alamany.
Vendredi 12 janvier, M. Puigdemont devait tenir une réunion à Bruxelles avec des membres de sa coalition indépendantiste, Junts per Catalunya (Ensemble pour la Catalogne) sur la meilleure stratégie à suivre. « M. Puigdemont est le seul maître à bord, reconnaît un dirigeant de sa formation, le Parti démocratique européen de Catalogne (PDeCAT). Il doit décider s’il veut être le président à distance et maintenir une confrontation avec l’Etat, ou s’il accepte qu’un autre candidat brigue la présidence de la Catalogne pour permettre une législature plus apaisée… » C’est cette dernière option qui a la préférence des dirigeants du PDeCAT.
D’ailleurs – est-ce le signe d’une rupture politique ? –, Artur Mas, l’ancien mentor de M. Puigdemont, celui qui l’avait désigné pour le remplacer à la tête de la Catalogne, a annoncé le 9 janvier qu’il quittait la présidence du PDeCAT. Officiellement, il entend se concentrer sur sa défense en justice et permettre un renouvellement au sein du parti. Cependant, ces derniers jours, il n’a cessé de se prononcer en faveur d’une législature « longue » et « constructive » qui « respecte le cadre légal espagnol ». La veille, il avait affirmé qu’il n’y avait pas de majorité suffisante pour « imposer quoi que ce soit ». Une façon de rappeler que les indépendantistes ont certes obtenu la majorité absolue en sièges, mais pas en voix (47,5 % des suffrages).
Personne n’ose faire de pronostic définitif sur ce qui peut se produire. Cela dépendra en grande partie des membres du bureau du Parlement, l’organe chargé d’interpréter le règlement et de soumettre les candidats au vote d’investiture. Lequel sera formé le 17 janvier.