HQ Trivia, l’appli de quiz qui veut gagner des millions (de joueurs)
HQ Trivia, l’appli de quiz qui veut gagner des millions (de joueurs)
Par Pierre-Olivier Chaput
Ce questionnaire de culture générale sur mobile a l’originalité d’être animé en direct par un présentateur et de rapporter de l’argent aux vainqueurs. Malgré les problèmes techniques, sa popularité a explosé outre-Atlantique.
Plusieurs centaines de milliers de personnes se connectent quotidiennement à HQ Trivia. / Crédit : Intermedia Labs
Top ! Je suis un quiz de culture générale en anglais qui se déroule sur smartphone. Lancé cet été par les créateurs de Vine, Rus Yusupov et Colin Kroll, ma popularité a explosé depuis l’automne aux Etats-Unis. Les joueurs qui se connectent à moi par centaines de milliers doivent répondre correctement à douze questions pour remporter le pactole en dollars de la partie. Mon présentateur vedette est Scott Rogowsky. Je suis, je suis, je suis… HQ Trivia !
En moins de six mois d’existence, l’application, disponible sur iPhone et en version bêta sur Android, est devenue un véritable phénomène aux Etats-Unis. Dimanche 7 janvier, elle a vu se connecter simultanément plus d’un million de joueurs espérant toucher une partie des 10 000 dollars mis en jeu ce jour-là. Un concept culotté, entre appli novatrice et jeu télévisé à l’ancienne.
Comme à la télé
Concrètement, à quoi cela ressemble-t-il ? Deux fois par jour, juste avant que le jeu ne débute, les utilisateurs de HQ Trivia reçoivent une notification de l’application, dont la formulation varie. « T’es où ? HQ commence. Viens jouer ! »
A l’écran, le compteur de connexions s’affole sur une musique entraînante, avant que ne commence le décompte annonçant le début de la partie. Tout est fait pour que l’excitation monte, comme cette fenêtre de discussion en bas de l’écran, proche de l’illisibilité au vu du nombre de messages qui y défilent chaque seconde. Et soudain, comme à la télé, le générique de l’« émission » se lance, et apparaît, en direct sur les téléphones, le présentateur de la partie. Le plus souvent, il s’agit du comédien Scott Rogowsky, jeune barbu hyperdynamique, de temps en temps remplacé par des présentateurs « invités ».
Après une première rafale de blagues, l’animateur rappelle brièvement les règles avant de poser la première des douze questions de la partie. Dès qu’il prononce les premières syllabes d’une question, les joueurs ne disposent que de dix secondes pour sélectionner l’une des trois réponses possibles. Tous ceux qui se trompent sont éliminés, mais peuvent continuer à regarder la partie. Les autres passent à la devinette suivante.
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Durée : 15:00
« Quelle est la couleur commune aux drapeaux de la Chine, de la Norvège et du Canada ? » « Laquelle de ces entreprises fabrique encore des flippers ? » « Lequel de ces produits trouve-t-on dans la partie “surgelés” des supermarchés ? » La difficulté des questions, souvent spécifiques à la culture états-unienne, augmente au fur et à mesure que l’émission avance. Les personnes qui ont répondu correctement jusqu’à la dernière se partagent l’argent mis en jeu lors de la partie. En ce moment, la somme d’argent en jeu est de 2 000 dollars (soit un peu moins de 1 700 euros) pour les parties ordinaires, qui rassemblent plusieurs centaines de milliers de joueurs. Loin des premiers quiz où la mise était de 50 ou 100 dollars. Cette cagnotte est montée jusqu’à 18 000 dollars lors d’une partie organisée pour le Nouvel An.
Culture du secret
Lors de la partie à 1,2 million de participants, 400 vainqueurs ont chacun remporté un peu moins de 25 dollars. Avec une partie ordinaire à 2 000 dollars, les gains n’auraient été que de 5 dollars. S’enrichir grâce au quiz est donc peu probable pour les joueurs. L’éditeur, lui, accumule les dépenses. En plus des frais liés au fonctionnement du jeu, pour l’instant gratuit et sans publicité, les récompenses lui coûtent des dizaines de milliers de dollars. Et la manière dont Colin Kroll et Rus Yusupov comptent rentabiliser leur produit, financé par des levées de fonds auprès d’investisseurs de la Silicon Valley, n’est pas très claire. Rus Yusupov a affirmé au magazine Variety que « la monétisation n’était pas [leur] priorité », et que s’il devait y avoir des partenariats avec des marques — beaucoup de questions du jeu y font référence —, « cela servirait d’abord à améliorer la jouabilité ».
Peu loquace sur le budget ou les projets de HQ Trivia, le cofondateur de la start-up cultive le secret : il s’est d’ailleurs fait remarquer à la fin de novembre en menaçant de renvoyer son présentateur principal, Scott Rogowsky, pour avoir donné un entretien au site The Daily Beast « sans autorisation ». Il s’en est ensuite excusé, ajoutant sur Twitter qu’il aurait bien besoin d’un service de communication.
Car tout n’est pas rose chez HQ Trivia. Et notamment au niveau technique. Les joueurs se plaignent régulièrement de ralentissements intempestifs lors des parties. Plus embêtant, des participants ont également accusé l’application de les avoir éliminés alors qu’ils avaient répondu juste, d’autres ont signalé des questions qui n’apparaissent pas ou des vies supplémentaires, gagnées en invitant des gens à jouer, qui disparaissent. La firme a récemment promis de régler ces bugs, multipliés lors des pics de connexions.
Star en construction
Comme nombre de communautés construites en ligne, HQ Trivia dispose déjà d’un certain nombre de gimmicks. La plupart tournent autour de son présentateur vedette : il parle vite, fort, crie et chantonne presque sans s’arrêter durant le quart d’heure que dure une partie. Dans sa bouche, les participants sont appelés « HQuties » — « cutie » signifiant « mignon » —, tandis que les questions pour lesquelles les réponses justes sont minoritaires sont appelées « savage », pour « sauvage ». Rogowsky lui-même est surnommé « QuizDaddy » ou « LagDaddy », « Papa du quiz » ou « Papa des ralentissements », par les joueurs.
Looking good @ScottRogowsky #LagDaddy https://t.co/zQdbo0jccI
— steveluvender (@Steve Luvender)
Et si les plaisanteries s’enchaînent à un rythme effréné, l’homme évoque aussi des questions plus sérieuses, par exemple lorsqu’il se positionne en faveur de la neutralité du Net dans l’émission du 7 décembre.
Le jeu a lancé le 8 janvier une version au Royaume-Uni, présentée par la journaliste et productrice Sharon Carpenter, qui avait déjà animé la version états-unienne. En revanche, rien à l’horizon pour l’instant en ce qui concerne la France — l’application est téléchargeable, mais le jeu est entièrement en anglais.
Immanquablement, la popularité du jeu a incité d’autres éditeurs à se lancer sur ce créneau, avec le jeu The Q, sans rencontrer pour l’instant de succès comparable. Genre considéré comme mineur dans l’histoire du jeu vidéo, les jeux de quiz ont pourtant déjà connu des succès notoires par le passé. Cela fut notamment le cas dans les années 2000 avec la très conviviale série Buzz!, de Sony, sur PlayStation 2 et PlayStation 3. En 2009, Microsoft avait même mis en place sur Xbox 360 le premier quiz massivement multijoueur en ligne, 1 contre 100, adapté de l’émission TV du même nom. Il avait été téléchargé 2,5 millions de fois en deux mois, un score très positif pour une console de l’époque, et peut être considéré comme le précurseur de HQ Trivia.