En Pologne, le gouvernement s’apprête à rendre l’avortement quasi impossible
En Pologne, le gouvernement s’apprête à rendre l’avortement quasi impossible
Par Intérim (Varsovie)
L’opposition polonaise s’est discréditée à l’occasion d’un vote sur l’interruption volontaire de grossesse.
En Pologne, le parti ultraconservateur Droit et justice (PiS), au pouvoir depuis 2015, vient de faire coup double en se rapprochant d’une interdiction quasi-totale de l’avortement, tout en semant la discorde dans l’opposition.
La semaine du 8 janvier, les députés polonais devaient se prononcer sur deux initiatives citoyennes visant à réformer, dans des directions opposées, le droit de l’avortement. Le projet de durcissement a été envoyé en commission pour examen, mais pas la proposition de libéralisation, rejetée à neuf voix près en première lecture, alors que 39 élus des partis libéraux étaient tout bonnement absents de la salle au moment du vote. Furieux, des défenseurs des droits des femmes ont manifesté le week-end du 13 et du 14 janvier dans plusieurs grandes villes pour dénoncer une « honte ».
Comptant parmi les plus restrictives en Europe, la réglementation polonaise actuelle interdit l’avortement sauf dans trois cas de figure : si la grossesse met en danger la vie de la femme enceinte, si elle résulte d’un acte criminel, ou si le fœtus est atteint d’une grave malformation.
Fruit d’un « compromis » passé il y a vingt-cinq ans entre conservateurs et libéraux, cette loi continue de satisfaire une majorité relative de Polonais. En revanche, pour les catholiques radicaux soutenus par l’épiscopat, le millier d’avortements pratiqués légalement chaque année en Pologne représente toujours autant de « meurtres » de trop.
A l’inverse, l’association de planning familial Federa relève que « la loi de 1993 est violée de façon chronique » car, même dans les situations où elle autorise le recours à l’avortement, il existe des régions entières où aucun médecin n’accepte de le pratiquer, soit par peur d’être poursuivi en justice, soit en raison d’une « utilisation abusive de la clause de conscience ».
La tactique a fonctionné
Pour lutter contre les effets négatifs de cette législation, en particulier l’exécution clandestine d’avortements dans des conditions souvent dangereuses, le collectif Sauvons les femmes avait réuni fin 2017 près de 500 000 signatures en soutien à une initiative législative qui aurait établi un droit effectif à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) pendant les douze premières semaines. C’est ce texte qui a été rejeté en première lecture mercredi 10 janvier, par 202 voix contre 194 en faveur de la poursuite des travaux.
Alors que des députés libéraux avaient manqué à l’appel, voire s’étaient prononcés pour l’abandon pur et simple du projet, 58 élus du PiS pourtant hostiles à l’avortement avaient voté pour l’examen du texte en commission. Le parti au pouvoir peut ainsi se vanter de respecter sa promesse de campagne de ne repousser aucune initiative citoyenne d’ampleur tout en renvoyant sur l’opposition la responsabilité de l’échec de la proposition.
La tactique a fonctionné : depuis le vote, les deux partis libéraux se déchirent en interne à coups de sanctions, d’exclusions, de suspensions d’adhésion et de menaces de démission. Côté PiS, le président du Sénat, Stanisław Karczewski, a d’ores et déjà indiqué que la majorité gouvernementale était « ouverte à des discussions » pour accueillir les élus mis au ban de leur formation d’origine.
Les manifestants de ces derniers jours s’en sont également davantage pris à l’opposition qu’au PiS. Samedi soir, malgré le gel, plus d’un millier de personnes étaient présentes devant le Parlement à Varsovie. A l’invitation d’organisations de gauche, ils ont déclamé les noms des députés absents lors du vote sur le texte du collectif Sauvons les femmes en les accusant de « lâcheté ».
Nouvelle journée de mobilisation
Toutefois, au-delà de ces cris de colère, les revendications des participants n’étaient pas unanimes. Pat et Michał (qui n’ont pas communiqué leur patronyme), un jeune couple, continuaient de demander la « libéralisation d’une loi qui ne fonctionne pas » quand d’autres ne veulent que le maintien du statu quo. « Je suis venu réclamer l’abandon du projet de durcissement de la législation sur l’avortement », explique Adam, retraité.
Plus d’un an après l’échec d’une première tentative d’interdiction totale de l’avortement, la nouvelle proposition de durcissement, soutenue par 830 000 citoyens, abandonne l’idée de punir les femmes qui recourent illégalement à l’avortement et maintient la possibilité d’interrompre une grossesse mettant en danger la vie de la femme enceinte ou résultant d’un viol. Toutefois, la suppression de l’exception en cas de malformation grave du fœtus reviendrait de fait à interdire 95 % des avortements légaux aujourd’hui pratiqués en Pologne.
Les organisateurs de la « grève des femmes », à l’origine des « marches noires » qui avaient rassemblé fin 2016 près de 250 000 personnes dans 150 villes et obtenu le retrait du projet d’interdiction totale, appellent à une nouvelle journée de mobilisation mercredi 17 janvier.
Toutefois, face à ce nouveau texte moins sévère, il est possible que la participation soit moindre. Le PiS n’aurait alors plus de raison de pas adopter cette nouvelle restriction du droit à l’avortement, promesse de longue date faite au clergé en échange de son soutien électoral.
En Pologne, les femmes manifestent contre le durcissement de la loi sur l’avortement