Diego Carlos expulsé par Tony Chapron. / LOIC VENANCE / AFP

Chronique. La dernière fois que j’ai vraiment joué au foot, c’était il y a dix ans maintenant, nous avions désigné d’autorité un arbitre. La victime avait un atout pour le poste : elle s’appelait Tony. Comme les enfants se donnent des noms de footballeurs les faisant fantasmer, les adultes que nous étions presque l’avions renommé Tony Chapron. Il était même « l’intraitable-Tony-Chapron ».

Dans notre imaginaire, Tony Chapron était l’arbitrage fait homme et les qualificatifs que nous lui attribuions montraient la mauvaise réputation du métier : nous disions intraitable, nous aurions aussi pu dire autoritaire, implacable, sévère ou inflexible, bref, tout épithète pioché dans le dictionnaire des synonymes et désignant un dictateur au petit pied. Quel discours médiatique avait bien pu nous rendre cet homme si détestable, d’une part, et sa profession si méprisable, d’autre part ?

Dimanche soir, Tony Chapron est entré dans l’histoire du football français, non pas en arbitrant une finale de Coupe du monde mais en devenant le premier arbitre à faire l’objet d’un « mème » internet. Sa tentative présumée de balayage de Diego Carlos, le défenseur brésilien du FC Nantes, est détournée de toutes les façons possibles, et son comportement sur l’action – il a adressé un deuxième carton jaune au joueur coupable de l’avoir involontairement bousculé – est tourné en ridicule dans toutes les langues. Lui dit avoir été victime « d’un mauvais réflexe », ayant ressenti « une vive douleur sur une blessure récente ». Les images rendent les deux versions possibles ; on s’en aperçoit ces derniers mois, l’arbitrage vidéo est aussi affaire d’interprétation humaine.

Au fond, peu importe : c’est un moment chaplinesque, rien d’autre. Il prête au rire et au dépit, pour les arbitres qui subiront les moqueries les week-ends prochains sur les pelouses de district. Mais il ne dit rien de la profession en général.

Curée

Bien plus révélatrice est la curée que Tony Chapron subit depuis dimanche 23 heures. Joueurs, entraîneurs, présidents de clubs : quel autre acteur du football, pour un geste ou un mot qui l’a dépassé, subirait sans procès un déchaînement d’une telle violence ? Imagine-t-on un arbitre se précipiter avec fureur dans le vestiaire d’une équipe pour se plaindre des contestations de l’entraîneur ou d’un tacle dangereux ? Imagine-t-on un arbitre faire irruption dans la loge présidentielle à la mi-temps d’un match ? Les scènes inversent se produisent chaque week-end ou presque dans les sous-sols des stades de Ligue 1.

Procureur des comportements arbitraux, Pierre Ménès était encore dimanche à l’avant-poste dans ce courageux combat, décrétant avec finesse qu’il fallait « virer les nuls » (c’était à la télé) et en profiter pour « taper du poing sur la table » car « ces gens-là sont tellement contents d’eux et accumulent tellement d’erreurs qu’ils en deviennent un profond problème pour le football français » (c’était sur son blog).

Plus tôt dans la soirée, le commentateur vedette de Canal+ Stéphane Guy s’était égosillé après un but refusé pour hors-jeu au FC Nantes, sur la base d’un « révélateur » de hors-jeu grossièrement placé et privant l’arbitre de sa faculté d’interprétation de l’action.

Utile

Evidemment, Tony Chapron est bien plus utile au football que tous ceux qui lui tombent dessus.

Celui qui prendra sa retraite à la fin de la saison, touché par la limite d’âge (45 ans), figure année après année parmi les arbitres français les mieux notés par leurs évaluateurs, et se voit régulièrement confier le sifflet de matchs importants. Cela malgré l’antipathie qu’il suscite dans le football français, ce qui doit dire quelque chose de sa capacité à prendre des bonnes décisions.

Deux heures avant le geste incompréhensible de Tony Chapron, il semblait normal à tous que Jean-Michel Aulas, président de l’Olympique lyonnais suspendu à de multiples reprises pour ses propos sur les arbitres, s’inquiète « pour le foot » (rien de moins) que son joueur vedette Nabil Fekir ne soit pas davantage protégé par le corps arbitral. Il y a un mois, le défenseur lyonnais Marçal avait porté sa main au visage d’un arbitre de touche sans en être sanctionné. Le même week-end, des membres de l’encadrement de Montpellier avaient traité un arbitre de « pipe », de « pute », de « porc » et de « grosse merde ».

Le geste de Tony Chapron n’est rien d’autre que l’accès d’autoritarisme d’un arbitre qui lui vaudra une fin de carrière infamante et loin des honneurs auxquels il aurait pu prétendre. Les réactions excessives qu’il suscite, en revanche, rappellent qu’il est miraculeux que le rôle, qui ne rémunère qu’une infime élite, suscite encore des vocations. Particulièrement dans le football, seul sport où l’on tolère que l’arbitre fasse l’objet d’autant de commentaires publics et de pressions physiques de la part des joueurs.

En Corrèze, le week-end des 9 et 10 décembre, on n’a pas pu jouer au football. Le district avait décrété une grève : les agressions d’arbitres devenaient trop fréquentes. Et Tony Chapron n’était pas dans le coup.