Le procès des box vitrés des tribunaux
Le procès des box vitrés des tribunaux
Par Franck Johannès
Le Syndicat des avocats de France, soutenu par l’essentiel de la profession, a assigné lundi le ministère de la justice devant le tribunal pour dénoncer les box vitrés où comparaissent les accusés dans un nombre croissant de tribunaux
Les avocats l’appellent « la cage en verre ». Pour le gouvernement, c’est un « box sécurisé ». Depuis 2016, ces silhouettes rectangulaires vitrées ou barreaudées, fermées de tous les côtés, apparaissent les unes après les autres dans les tribunaux français. Officiellement, « pour des raisons de sécurité ». / Asia Balluffier/Le Monde
Les avocats de France et de Navarre ont fait, lundi 15 janvier, le procès des box vitrés qui se généralisent rapidement dans tous les tribunaux du pays. Le syndicat des avocats de France (SAF), accompagné des deux tiers de la profession – de l’ordre des avocats de Paris aux vingt barreaux de province, au Conseil national des barreaux ou à la conférence des bâtonniers – a assigné à Paris le ministre de la justice et l’agent judiciaire de l’Etat pour « faute lourde », et demandé en réparation une « remise en l’état », c’est-à-dire le démontage des box.
Ces cages de verre, voire de fer, comme à Alençon (Orne), avec de vrais barreaux qui ont ému le barreau local, isolent le prévenu ou l’accusé pour des raisons de sécurité, même si les exemples sont rares. A Bobigny (Seine-Saint-Denis), où il pleut parfois dans les salles d’audience, on y voit plutôt un aquarium, mais on n’y juge pas que de gros poissons : la généralisation des box touche autant les criminels que les petits délinquants ou les mineurs, surtout dans les petits tribunaux.
La profession s’accorde au minimum à les trouver infiniment peu pratiques : à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), des câbles à hauteur des yeux quand le prévenu est debout lui cachent le tribunal ; à Versailles, le box est de biais et la Cour ne voit les accusés que de profil. Les hygiaphones sont à la hauteur du prévenu quand il est assis, mais il est interrogé debout : il doit se plier en deux pour répondre au tribunal. Les interprètes sont les plus mal lotis, qui doivent passer l’audience penchés sur l’hygiaphone pour traduire son procès au prévenu.
« Atteinte à la dignité humaine »
Mais c’est pour les avocats d’abord une question de principe. « Il est anormal au XXIe siècle de juger les gens comme des bêtes en cage, a plaidé Me Gérard Tcholakian pour le SAF. Le code de procédure pénale le dit bien, “l’accusé comparaît libre et seulement accompagné de gardes pour l’empêcher de s’évader”. A Dijon, à Alençon, on juge des enfants dans des cages ! » Le box est ainsi d’abord, pour les pénalistes, « une atteinte à la dignité humaine », une atteinte ensuite « à la présomption d’innocence », une atteinte enfin aux droits de la défense, « car la communication libre, confidentielle et sans contrainte est un principe central de la défense ».
Les avocats ont fait part d’une condamnation en 2014 de la Russie par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui protestait contre les cages russes, « une mesure d’enfermement dans le prétoire ». Ils ont souligné que la France devait avant avril transposer une directive demandant de « s’abstenir de présenter les suspects comme coupables » par le recours aux « menottes, box vitrés, cages ou entraves de métal », sauf lorsqu’existait un risque sérieux. Une avocate d’Aix est venue expliquer qu’elle avait plaidé dans le box aux côtés de son client puisque le tribunal refusait de l’en faire sortir ; à Toulouse, c’est l’escorte du prévenu qui a refusé d’obéir au tribunal pour qu’il comparaisse normalement à la barre.
Gel de l’installation des nouveaux box
Les avocats du garde des sceaux et de l’agent judiciaire de l’Etat ont eux soulevé l’incompétence du juge judiciaire : ce qui est en réalité visé, c’est l’arrêté du 18 août 2016 du ministre de la justice, seul le juge administratif est donc compétent. Le bataillon d’avocats en face a répondu que « l’organisation » du service judiciaire dépendait certes du juge administratif, mais « son fonctionnement » du juge judiciaire. Reste que le dossier était plaidé le même jour devant le juge administratif de Versailles, on n’est jamais trop prudent.
Le représentant du procureur a souligné qu’il « faisait siens tous les principes évoqués », mais que la Convention européenne n’était en rien violée et que les différents barreaux n’étaient pas recevables : il faut « une critique singulière d’une situation singulière », et non pas comme ici « une critique singulière d’une situation générale ».
La garde des sceaux pourtant, devant l’émotion des avocats, a gelé le 22 décembre l’installation de nouveaux box. Et la présidente du tribunal a très gentiment conclu que « ce débat n’était qu’un début. Mme la ministre a dit qu’elle examinerait le problème au cas par cas. Il est important qu’on puisse avancer ». Elle n’a pas trop fait mystère de son sentiment, « il est difficile pour un tribunal judiciaire de statuer sur des questions de principes ». Décision le 12 février.