Libéré, l’opposant éthiopien Merera Gudina se dit « prudemment optimiste »
Libéré, l’opposant éthiopien Merera Gudina se dit « prudemment optimiste »
Propos recueillis par Emeline Wuilbercq (Addis-Abeba, correspondance)
Dans un entretien accordé au « Monde Afrique » au lendemain de sa sortie de prison, le président du Congrès fédéraliste oromo appelle le pouvoir à plus d’ouverture.
L’une des figures de l’opposition éthiopienne a été relâchée de prison, mercredi 17 janvier. La libération du docteur Merera Gudina, président du Congrès fédéraliste oromo (OFC), s’inscrit dans un mouvement de « réconciliation nationale » du gouvernement. Le Monde Afrique a rencontré le dirigeant, peu disert mais souriant, au lendemain de sa remise en liberté, dans sa propriété de Burayu, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest d’Addis-Abeba.
Comment vous sentez-vous ?
Merera Gudina J’ai bien dormi, je suis content d’être sorti après 400 jours. Je vais bien.
Comment expliquez-vous votre libération ?
Il y a deux semaines, le gouvernement a décidé de libérer des prisonniers politiques pour favoriser la réconciliation nationale. Suite à cette décision, ils ont décidé de me laisser sortir.
Vous parlez de « prisonniers politiques », mais le gouvernement affirme qu’il n’y en a pas. Le 3 janvier, le premier ministre a annoncé la libération prochaine « d’hommes politiques emprisonnés ». Que pensez-vous de ce choix sémantique ?
Nous sommes des prisonniers politiques, cela ne fait aucun doute. Nous ne sommes pas des voleurs. Depuis [son accession au pouvoir il y a] vingt-sept ans, le gouvernement nie la présence de prisonniers politiques en Ethiopie. C’est une blague ! Même si le gouvernement colle n’importe quelle étiquette sur n’importe qui, nous sommes des prisonniers politiques.
Avez-vous été victime de mauvais traitements en prison ?
Je ne veux pas en parler à ce stade. Je vais bien.
Le gouvernement éthiopien ouvre-t-il une voie vers plus de démocratie ?
Nous n’en sommes pas sûrs mais c’est un début. Jusqu’où iront-ils ? Nous n’en savons rien. Nous sommes prudemment optimistes. Nous verrons si le gouvernement souhaite ouvrir l’espace politique. C’est au cœur de l’agenda politique de la coalition Medrek, dont l’OFC est membre. Pour l’instant, je n’ai rencontré aucun des dirigeants de notre grande coalition d’opposition. Nous sommes dans une impasse, il n’y a aucune négociation entre Medrek et le gouvernement. [Nous sommes ouverts] si celui-ci veut toujours nous parler.
Que comptez-vous faire désormais pour le peuple éthiopien ?
Nous nous sommes battus pour l’égalité nationale et pour la liberté de notre peuple. Nous allons continuer. Ce pays est dans une impasse. L’espace politique est totalement contrôlé par la coalition au pouvoir [le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens, EPRDF, qui détient 100 % des sièges au Parlement]. C’est un régime à parti unique, il n’y a pas d’égalité, cela ne peut pas continuer. Le gouvernement commence à le comprendre.
L’EPRDF a invité quinze partis d’opposition à la table des négociations lors d’un forum en décembre 2017. Est-ce un pas vers plus de démocratie ?
Quelle opposition ? Tout le monde sait que ce sont de faux partis d’opposition. Les vrais partis d’opposition à l’intérieur et à l’extérieur du pays ne mènent pas de négociations avec le gouvernement. Le gouvernement et les dirigeants de Medrek ont échangé, mais je ne sais pas sur quoi. Ils ne pouvaient pas négocier alors que j’étais en prison.
Quelle est la première chose que vous allez faire maintenant que vous êtes libre ?
Je vais prendre du repos et, ensuite, parler à mon propre groupe pour savoir comment poursuivre la lutte.
Souhaitez-vous que la population manifeste contre le gouvernement ?
Vous ne pouvez pas contrôler les gens quand ils sont désespérés, en colère, affamés. Vous ne pouvez pas leur dire ce qu’il faut faire ou non. Nous avons toujours été pacifiques. Les gens ont manifesté parce que le gouvernement a fermé les autres canaux de protestation pacifique. C’est la raison pour laquelle les gens deviennent parfois incontrôlables. La meilleure solution est de leur permettre de manifester pacifiquement. Si le gouvernement se contente de réduire les partis politiques au silence, la seule option des gens est de descendre dans la rue.
Quelle est, selon vous, la priorité en Ethiopie ?
L’ouverture de l’espace politique est essentielle. L’Ethiopie doit organiser des élections libres et équitables, permettre aux partis politiques de fonctionner de manière pacifique, de manifester pacifiquement. Les prisonniers politiques doivent être libérés. Cent quinze prisonniers fédéraux ont été relâchés hier. C’est trop peu. Le gouvernement doit prendre davantage de mesures pour satisfaire les gens. Les négociations doivent continuer. Le jeu doit être équitable.
Quel peut être le rôle de la communauté internationale ?
Les prétendus amis de l’Ethiopie, ses partenaires qui soutiennent la démocratisation, comme les Etats-Unis et l’Union européenne, doivent pousser le gouvernement à engager de vraies négociations pour impulser de réels changements. Les problèmes de ce pays ne peuvent être résolus par un changement cosmétique.