Céline : LVMH mise sur Hedi Slimane pour concurrencer Hermès
Céline : LVMH mise sur Hedi Slimane pour concurrencer Hermès
LE MONDE ECONOMIE
Le créateur Hedi Slimane, qui a révolutionné la mode masculine, aura carte blanche chez Céline. Sous sa houlette, la marque espère doubler ses ventes en cinq mois.
LVMH n’a pas tardé à exploiter l’image d’Hedi Slimane. Quelques heures après sa nomination à la tête de la direction artistique et de l’image de Céline, dimanche 21 janvier, le portrait en noir et blanc du créateur apparaissait sur la page d’accueil de son site de vente en ligne.
Car le Français âgé de 49 ans, ancien directeur artistique de Dior Homme et de Saint Laurent, qui signe son retour au sein du groupe LVMH, est un nom, une figure de la mode. « C’est l'un des créateurs les plus talentueux de notre époque », a souligné Bernard Arnault, président et actionnaire de référence du groupe aux 37,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Hedi Slimane, c’est aussi un filon. « Tout ce qu’il a touché, il l’a transformé en or », reconnaît un expert du secteur. Le designer a, notamment, relancé les ventes de Saint Laurent, filiale de Kering. Sous sa houlette, elles ont triplé entre 2012 et 2016. Et, à son tour, c’est ce dont rêve LVMH pour Céline.
Une croissance folle
Aux yeux du groupe, la marque fondée en 1945 présenterait tout le potentiel pour devenir le troisième de ses piliers dans la mode et la maroquinerie et rivaliser avec Hermès, marque parisienne qui, en 2014, à l’issue d’une longue bataille judiciaire et boursière, a échappé à M. Arnault.
Fondé par Céline Vipiana et son mari, cet ancien bottier pour enfants né après guerre à Paris pèse aujourd’hui près de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Soit « près de cinq fois plus que lors de la nomination de Phoebe Philo en 2007 », affirme-t-on dans l’entourage du groupe. Sous l’impulsion de la styliste londonienne, pendant dix ans, la marque Céline s’est développée à une croissance folle. Elle est devenue fort rentable en cultivant une image chic et sobre, de qualité, qui n’est pas sans rappeler celle, précisément, du sellier Hermès.
Ce fut notamment grâce à des sacs à main minimalistes, dépourvus de logos ostentatoires, les « bi-cabas », des modèles fabriqués en Italie et vendus entre 600 et 1 900 euros. Le bi-cabas fait un tabac. Il est outrageusement copié. Mais peu importe.
Le sac – un article fétiche des marques de luxe, car sa vente échappe aux caprices de la météo, occupe peu de stocks, exige peu d’essayages et se moque du rythme de la « fast fashion » – assure la relance de Céline et « permet de développer un réseau de distribution à l’enseigne et de le rentabiliser », explique un spécialiste du secteur. La marque en compte aujourd’hui 141 dans le monde. Et elle tire près de 80 % de ses ventes de la seule maroquinerie, marché qu’elle n’a abordé qu’à la fin des années 1990, à l’initiative de Jean-Marc Loubier, son ancien président.
La nomination d’Hedi Slimane devrait maintenant doper l’activité de la marque. Celle-ci, dirigée par Séverine Merle, espère doubler ses ventes d’ici environ cinq ans. « Grâce à Hedi Slimane, c’est un objectif atteignable », décode un ancien cadre. Ce sera notamment en élargissant le périmètre d’activité au marché de la mode masculine, grande spécialité de l’ancien directeur artistique de Dior Homme qui, à la fin des années 1990, révolutionna le vestiaire masculin en y introduisant des pantalons étroits, des vestes près du corps et des cravates fines.
Très vite, le groupe LVMH mettra à disposition de la marque des pas-de-porte dans Paris pour que ses créations aient pignon sur rue. Tout commencera en 2019 à Paris. La boutique Dior Homme de la rue de Marignan, à un jet de pierre de l’avenue Montaigne, deviendra un magasin Céline pour homme. D’autres ouvertures sont d’ores et déjà programmées dans le monde.
M. Slimane a aussi obtenu de superviser l’ensemble des activités de la marque, y compris celles à venir dans le secteur de la parfumerie. Celui qui quitta Saint Laurent, filiale du groupe Kering, en avril 2016, notamment après un différend sur le parfum fabriqué par le groupe L’Oréal, devrait lancer le premier jus Céline.
Sur cet autre marché fort rentable, M. Slimane « aura carte blanche », souligne-t-on dans l’entourage du groupe. Le créateur l’avait exigé d’emblée. Il assouvira là tous ses désirs, sans trop exposer la maison à des prises de risques financières.
Gagner en notoriété
« A contrario de ce qui aurait pu se passer chez Dior, où M. Slimane était annoncé pour remplacer la directrice artistique Maria Grazia Chiuri », rapporte un cadre de LVMH. Au sein de ce paquebot, « sa nomination aurait été fort compliquée », note aussi ce dernier. Car, comme il l’a fait chez Saint Laurent, M. Slimane aurait pu exiger de superviser l’ensemble des activités cosmétiques de Dior, pilier des magasins Sephora, et numéro deux du marché des parfums en France.
Céline devra gagner en notoriété. « Le lancement d’un parfum exige de rencontrer le succès sur le marché de la mode féminine », juge M. Loubier, aujourd’hui président de First Heritage Brands, actionnaire de Sonia Rykiel et Robert Clergerie. Il revient donc à Hedi Slimane de confirmer le potentiel de cette jeune pousse sur ce marché.
Le groupe LVMH pourrait, en outre, profiter de vents favorables. Le numéro un mondial du luxe, qui publiera jeudi 25 janvier les résultats de son exercice 2017, bénéficie de la santé recouvrée du marché du luxe, notamment en Chine. D’après Bain & Company, les ventes y ont progressé d’environ 20 % en 2017, atteignant 142 milliards d’euros. Or ce pays est l’une des régions où la marque Céline bénéficie de la plus importante croissance sur son dernier exercice, devant les Etats-Unis et l’archipel nippon.