L’artiste cubain Luis Manuel Otero Alcantara avant sa performance à l’inauguration du festival Hors Pistes 2018 à Beaubourg. / HORS PISTES

Entre la montée des thèses identitaires et un contexte d’impérieux défis mondiaux (réchauffement climatique, épuisement des ressources, mouvements migratoires), la notion de nation est tiraillée de toutes parts. Le festival Hors pistes du Centre Pompidou, manifestation interdisciplinaire qui met chaque année un thème d’actualité en résonance avec les champs de l’art et de la pensée, a choisi de l’explorer au sein d’un dispositif qui prend des airs de village global.

Un coup d’œil depuis le hall dans l’atrium du niveau – 1, où le festival prend ses quartiers pour quinze jours, donne une idée de sa topographie. On surplombe un « Jardin de l’ambassade » tout ce qu’il y a de plus hospitalier. Les visiteurs de Beaubourg sont en ­effet invités à collaborer à sa composition en apportant une plante aux jardiniers-paysagistes du collectif Balto, qui en prendront soin pendant la durée du festival, non sans avoir collecté l’histoire qui relie les gens à ce végétal.

Des noms de plantes ont également été donnés à chaque journée de l’événement, qui s’égrènera comme un herbier. Pourquoi ce biais des plantes ? « Le motif des plantes a traversé plusieurs publications importantes récemment, comme La Vie des plantes [Rivages, 2016], du philosophe et botaniste Emanuele Coccia, réflexion sur le vivre-ensemble à l’exemple des plantes, ou Le Champignon de la fin du monde. Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme [La Découverte, 2017], d’Anna Tsing, qui suit le parcours d’un mystérieux champignon qui ne pousse que dans les forêts détruites », explique Géraldine Gomez, programmatrice de la manifestation.

Chemins de traverse

Qui dit jardin de l’ambassade dit ambassade : une « Ambassade de la Méta-Nation », pilotée par le ­collectif WOS, l’agence des hypo­thèses, ouvre sur des imaginaires ­méta-nationaux et des images ­extra-nationales, à travers trois films d’artistes qui abordent le devenir des « First Nations » et des peuples aborigènes. A côté s’ouvre un grand espace aux allures de classe d’école : il s’agit d’une « Univers-cité », dont la mission est d’« ouvrir l’épaisseur conceptuelle et politique des différents projets présentés », précise la philosophe Camille Louis, associée à cette 13e édition de Hors pistes. Des interventions d’historiens, d’écrivains, d’anthropologues, de cartographes, de philosophes, d’artistes et de visiteurs rythmeront chaque journée. Les murs collecteront les traces de ces échanges.

Le fait d’évoquer des « fictions » de la nation au sein même d’une institution nationale peut faire débat. « Il ne s’agit pas de découvrir une vérité de la nation, c’est une occasion de s’interroger ensemble sur ses diverses dimensions, réelles, imaginaires et à imaginer », désamorce Géraldine Gomez. Camille Louis précise : « Le propos n’est absolument pas de dire que la nation est un grand mensonge illusoire et maléfique. Simplement que c’est une des ­modalités de construction collective et qu’elle a une histoire. Ce qui nous intéresse, c’est de questionner ce schéma et de rouvrir toutes les formes de mémoire qui ont été mises en marge du récit officiel national. »

Du côté de « Notre place », où Ruedi et Vera Baur présenteront le projet Civic City, qui traite des reconquêtes des places publiques, on peut faire une pause à l’herboristerie de Tiphaine Calmettes, sorte de salon de thé sur les ­« savoirs sauvages ». Des chemins de traverse mèneront le visiteur à des « lectures électriques » du corpus bibliographique du festival, à passer à la loupe les non-dits de la nation à travers la philatélie en compagnie de l’historien Philippe Artières, ou à revisiter l’utopie des archives photographiques d’Albert Kahn avec Adrien Genoudet et Patrick Boucheron.

Hors Pistes 2018 | Festival | Centre Pompidou
Durée : 00:40

Hors pistes, « La nation et ses fictions », jusqu’au 4 février au Centre Pompidou, Paris 4e. Programme : https://horspistes13.fr