D’où vient le contentieux gréco-macédonien ?
D’où vient le contentieux gréco-macédonien ?
Par Eddie Rabeyrin
Depuis vingt-sept ans, l’utilisation de la dénomination « Macédoine » par l’ancienne république yougoslave est un sujet de litige avec la Grèce.
Dimanche 21 janvier à Thessalonique, principale ville de la région grecque de Macédoine, des hommes en habits tradionnels devant la statue d’Alexandre Le Grand, s’opposent au maintien du mot « Macédoine » dans le futur nom du pays. / Giannis Papanikos / AP
Le premier ministre grec, Alexis Tsipras, devait rencontrer, mercredi 24 janvier, son homologue macédonien Zoran Zaev au Forum de Davos, dans leur tentative de régler le contentieux sur le nom de l’ancienne république yougoslave. Dimanche 21 janvier à Thessalonique, principale ville de la région grecque de Macédoine, un rassemblement à l’initiative d’organisations nationalistes a réuni réuni plus de 90 000 personnes. Les manifestants protestaient contre le maintien du nom « Macédoine » dans l’appellation de la jeune république voisine, poursuivant ainsi une vieille querelle qui, depuis bientôt trois décennies, empoisonne les relations entre Skopje et Athènes.
A l’origine du contentieux
Le différend gréco-macédonien concernant le nom du pays est apparu au moment de l’indépendance de la République de Macédoine en 1991. Jusque-là, la dénomination « Macédoine » ne posait pas de problème à la Grèce car il ne s’agissait que d’un Etat au sein de la République fédérale de Yougoslavie.
Mais, en devenant un Etat souverain, la Macédoine s’est également mise à revendiquer l’héritage historique et culturel qui est associé à la région, avec des références à Alexandre le Grand ainsi qu’à son père Philippe II, qui font partie de la mémoire grecque. Athènes craint aussi des visées territoriales de Skopje sur le nord de la Grèce, qui abrite une part importante de la Macédoine historique. « Les Grecs ont eu l’impression qu’on leur volait une partie de leur capital symbolique, auquel ils ont conscience de devoir beaucoup. Leur Etat s’est lui aussi construit à partir d’une référence à l’Antiquité, qui leur a permis de bénéficier de l’appui de l’Occident », rappelle Georges Prévélakis, géopoliticien spécialisé dans la question des Balkans.
La Grèce a donc tout fait pour bloquer la reconnaissance de l’Etat macédonien. Si bien que ce dernier a dû rejoindre l’ONU sous un nom « provisoire » : l’Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM). C’est d’ailleurs cette dénomination que la plupart des pays européens, tels que la France et l’Allemagne, utilisent pour désigner le pays. Il est en revanche reconnu sous le nom de « Macédoine » par les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le Royaume-Uni.
Au-delà de son aspect symbolique, le contentieux a des conséquences très concrètes pour le jeune Etat. En effet, la Grèce a placé le pays sous embargo de février 1994 à octobre 1995, et ce dernier n’a été levé qu’après que la Macédoine a accepté de changer son drapeau, sur lequel figurait le soleil de Vergina, symbole des rois macédoniens. Depuis, Athènes met son veto à l’entrée de la Macédoine dans l’Union Européenne et dans l’OTAN.
La construction d’une identité nationale
Comme beaucoup de ses voisins des Balkans, la Macédoine abrite une population multi-ethnique. Les deux principales composantes en sont les Slaves orthodoxes (deux tiers de la population) et les musulmans albanais (environ un quart), auxquelles s’ajoutent d’autres ethnies minoritaires comme les Turcs, les Roms et les Serbes.
« L’Etat avait besoin de trouver un référence identitaire qui permette de construire une mythologie nationale. Celle-ci est plus ou moins artificielle, mais, en se référant à la Macédoine antique, elle permet de dépasser la contradiction entre les deux principales identités [les Slaves et les Albanais] et de s’appuyer sur le territoire », analyse Georges Prévélakis.
Au pouvoir entre 2006 et 2016, le gouvernement de droite de Nikola Gruevski avait cultivé la veine nationaliste en lançant un programme de construction de monuments et statues d’Alexandre le Grand ou Philippe II, exacerbant les tensions avec Athènes. « Cette référence fonctionne mieux auprès des Slaves que des Albanais, juge M. Prévélakis. Mais ces derniers ne se comportent pas de façon monolithique : certains sont en faveur de l’unité du pays tandis que d’autres peuvent être tentés par le projet de la Grande Albanie. »
Bientôt un réglement du contentieux ?
L’arrivée au pouvoir en mai 2017 d’un premier ministre social-démocrate, Zoran Zaev, a changé la donne. Les parties grecques et macédoniennes semblent aujourd’hui décidées à trouver une solution. Les émissaires des deux pays se sont rencontrés mercredi 17 janvier à New York sous l’égide de l’ONU pour en discuter.
« Il y a une forte pression des Américains sur M. Tsipras pour régler cette affaire. L’urgence vient de la proximité du Moyen-Orient déstabilisé et de la stratégie lente de poussée vers le sud de la Russie », estime M.Prévélakis. Mais le premier ministre grec de gauche radicale se heurte à l’opposition de son partenaire de coalition, le ministre de la défense, Panos Kammenos, président des Grecs indépendants.
Un règlement du contentieux gréco-macédonien pourrait débloquer l’adhésion de la Macédoine à l’OTAN et l’Union européenne. Les discussions, sous l’égide de l’émissaire onusien Matthew Nimetz, portent sur des propositions autour d’un nom mixte tel que « Macédoine du Nord » ou « Nouvelle Macédoine ».