Sur les bords de Seine, à Paris, le 23 janvier. / CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

Le niveau de la Seine a quasiment passé les 5 mètres au point de mesure de Paris-Austerlitz, mardi 23 janvier dans la soirée, et pourrait atteindre samedi 6,20 mètres, dépassant le niveau historique (6,10 m) de la crue de juin 2016.

La progression devrait être régulière, soit 5,10 mètres à 5,40 mètres mercredi, puis 5,40 à 5,70 mètres jeudi, même si les précipitations devraient se faire moins importantes, a expliqué Jérôme Goellner, à la tête de la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (Driee).

Le passage de la vigilance crue au niveau orange a été décidé, mardi à 16 heures, lors du passage dans ses locaux, des secrétaires d’Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, Brune Poirson et Sébastien Lecornu, ce qui signifie « risque de crue génératrice de débordements importants susceptibles d’avoir un impact significatif sur la vie collective et la sécurité des biens et des personnes ».

La SNCF a pris la décision d’interrompre, mercredi, le trafic sur la ligne C du RER entre Javel et Paris-Austerlitz et entre avenue Henri-Martin et Paris-Austerlitz. Sur cette même ligne du RER, sept gares resteront fermées jusqu’à la fin de la crue : Saint-Michel-Notre-Dame, Musée d’Orsay, Invalides, Pont de l’Alma, Champ-de-Mars, Avenue du Président Kennedy et Boulainvilliers.

Mobilisation des opérateurs de réseaux

Si aucun dégât important ni aucune victime n’était constaté mercredi matin, la situation est néanmoins prise très au sérieux. Mardi, une réunion entre les différents opérateurs de réseaux (téléphone, électricité, eau, transports) a été organisée à la préfecture de Paris. Le but : s’assurer que les services rendus ne soient pas affectés par la montée des eaux et que la mobilisation est effective. Par ailleurs, des agents de la Driee ont aussi contacté les entreprises classées à risque, pour s’assurer que toutes disposaient bien d’un « plan de continuité d’activités », prévu en cas de situation de risque majeur.

Quelques quartiers ont déjà été évacués dans le Val-de-Marne, et trois gymnases ont été requis pour accueillir la population à Villeneuve-Saint-Georges. En Seine-et-Marne, vingt-quatre routes étaient partiellement coupées, selon la préfecture, et l’école de Condé-Sainte-Libiaire, sur la Marne au sud de Meaux, a été évacuée.

A Paris, dans les locaux de la Driee, l’effervescence devant les écrans affichant la montée des eaux, grâce à 85 capteurs répartis sur les principaux cours d’eau, rappelait des scènes déjà vues en 2016. Cette année-là, les crues de la fin mai et de début juin dans une quinzaine de départements dont la majorité en Ile-de-France avaient causé la mort de quatre personnes, et des dégâts dont le montant a dépassé le milliard d’euros, soit « le deuxième événement le plus coûteux » enregistré depuis la création du régime des catastrophes naturelles, après la tempête Xynthia en 2010, selon un rapport d’experts remis en mars 2017 à la ministre de l’environnement, Ségolène Royal – la fédération française de l’assurance évoquant, elle, le chiffre de 1,4 milliard d’euros.

Si la montée des eaux affecte tout particulièrement la Marne (à la différence de 2016) et la Seine, menaçant des régions très urbanisées, la situation dans le tout pays restait préoccupante mardi soir.

« Les conditions météorologiques et hydrologiques en janvier ont entraîné des cumuls de pluie importants sur des sols saturés, avec aussi des chutes de neige abondantes », avance Météo France. Les pluies sont les plus abondantes en Bourgogne-Franche-Comté et en Ile-de-France. « Selon les relevés de Paris-Montsouris, ce bimestre, décembre et janvier, est le deuxième le plus pluvieux depuis 1900 », a précisé Jérôme Goellner, de la Driee. Il aurait plu, en janvier, cinq fois plus que d’habitude.

Vingt-trois départements en vigilance orange

Mardi soir, Météo France a placé vingt-trois départements en vigilance orange pour les inondations, sur un grand quart Nord-Est. Et une cinquantaine en vigilance jaune. « Sur les dix-sept services de prévision des crues, au niveau national, seize sont mobilisés vingt-quatre heures sur vingt-quatre », a précisé Marc Mortureux, à la tête de la direction générale de la prévention des risques (DGPR).

Les départements des Alpes étaient eux en vigilance jaune pour le risque avalanches, l’Isère cumulant les deux risques, crues et avalanches.

L’essentiel des risques de crues sont concentrés dans le Doubs avec la Loue placée en vigilance rouge – un mètre d’eau constaté au centre de la commune d’Ornans – l’Ognon et le Doubs. L’important niveau d’eau constaté à Pontarlier et à Morteau devrait atteindre Besançon mercredi. Dans le Jura voisin, qui a connu un épisode de vigilance rouge, la situation semble stabilisée mais de nombreuses routes restent coupées à la circulation avec quelques glissements de terrain ayant aussi été constatés.

En Normandie, les niveaux restent soutenus dans certains cours d’eau comme l’Epte. Le Rhône est en vigilance orange au sud de Lyon, tout comme un tronçon de la Garonne en aval de Toulouse, dans le Lot-et-Garonne, où la plaine entre Marmande et Tonneins est complètement inondée.

Hasard du calendrier, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a présenté, mardi, dans les locaux de la Driee, son « évaluation des progrès réalisés depuis la publication en 2014 sur la gestion du risque d’inondation de la Seine en Ile-de-France ». D’après l’organisation internationale, des progrès ont été enregistrés, notamment après les crues du printemps 2016.

« Aujourd’hui, de nombreux acteurs, Etat, collectivités territoriales, entreprises… s’intéressent à cette problématique. C’est une bonne base pour continuer, mais il faut passer à la vitesse supérieure », précise, Charles Baubion, expert en gouvernance des risques de l’OCDE. Selon lui, l’effort doit être fait sur l’urbanisation, « aucun quartier résilient n’ayant encore été construit ». Selon l’OCDE, « une inondation comparable à la crue de 1910 pourrait affecter jusqu’à cinq millions de citoyens et causer jusqu’à 30 milliards d’euros de dommage directs ».