Himalaya : une alpiniste française sauvée in extremis
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Chercher l’exploit, risquer la mort. Une fragile ligne de crête qui peut provoquer de véritables drames en haute montagne, comme ce fut le cas la semaine dernière pour l’expédition des alpinistes Elisabeth Revol et Tomasz Mackiewicz, dit « Tomek ». La première, Française, a dû être secourue après avoir atteint le sommet du Nanga Parbat, dans l’Himalaya, dimanche 28 janvier, alors que le second, Polonais, a vraisemblablement perdu la vie sur les flancs de cette montagne de 8 126 mètres, la neuvième plus haute du monde.

Cette mince frontière entre la réussite et le drame, Stéphane Benoist la connaît bien. En 2013, il a atteint le sommet de l’Annapurna (8 091 m), l’une des montagnes les plus meurtrières de l’Himalaya. « On sait que c’est dangereux et qu’on peut mourir, mais ce n’est pas ça qui nous intéresse », assure-t-il, conscient de la « folie » que peuvent représenter ces ascensions aux yeux de ceux qui ne partagent pas la passion de la montagne. « Il y a une ambiguïté en chaque alpiniste », concède-t-il.

« Choix en conscience »

Car ceux qui choisissent de gravir les sommets en haute altitude y voient surtout l’« engagement » dans un « projet », le plaisir d’avoir « les sommets du monde à leurs pieds » et d’investir « l’espace de liberté par excellence » que représente pour eux la montagne.

Stéphane Benoist ne cache d’ailleurs pas son admiration pour Elisabeth Revol et « Tomek », qui ont eu « le désir de se confronter à l’impossible » en s’attaquant à l’un des sommets les plus hauts du monde en plein hiver.

Pour lui, au-delà du drame que représente la mort de l’alpiniste polonais, leur expédition jusqu’au sommet du Nanga Parbat est surtout un exploit qui doit être reconnu.

« Ils savaient très bien à quoi ils jouaient, ils n’étaient pas là par hasard, ni l’un ni l’autre », estime l’alpiniste français, rappelant que tous deux en étaient à leur troisième ascension du Nanga Parbat, et qu’Elisabeth Revol est déjà montée en solo plus de quatre fois à 8 000 mètres :

« Quand on gravit des 8 000 mètres, on connaît le coût social, familial, économique aussi. On sait tous ce qu’on risque et on fait le choix en conscience. »

Entre 1950 et 2009, 23 111 personnes ont tenté de gravir un sommet himalayen de plus de 6 000 mètres, 6 473 ont réussi, mais 543 sont mortes. Les risques sont d’autant plus grands que, comme le souligne Blaise Agresti, gendarme spécialisé dans le secours en montagne, au-delà de 6 000 mètres, « les chances de secours sont extrêmement ténues ». Encore plus dans des pays pauvres comme le Pakistan ou le Népal.

« A un moment, on est en mode survie, soit on abandonne l’autre, soit on meurt »

Les alpinistes s’engagent avant tout dans une « quête personnelle ». Son ascension de l’Annapurna, Stéphane Benoist l’avait préparée seul, car « aucune école n’existe pour nous préparer à la haute montagne ». Ce sont les rencontres avec d’autres alpinistes et les expériences de ses héros, de Gaston Rébuffat à Patrick Berhault, qui lui ont forgé une « culture de la montagne » et permis d’anticiper les difficultés de l’expédition.

Météo difficile, gelures, œdèmes pulmonaires et cérébraux provoqués par les hautes altitudes, avalanches... Les risques sont nombreux, et leur connaissance n’empêche pas un alpiniste d’être démuni en cas de situation extrême.

Le choix d’abandonner un compagnon de cordée ? C’est « un non-choix », assure Blaise Agresti, dans un écho involontaire à Stéphane Benoist. L’acte n’est ni anticipé ni préparé. « A un moment, on est en mode survie, soit on abandonne l’autre, soit on meurt », explique le gendarme.

« Quand on est face à une crevasse, qu’on risque de mourir, on est hors du cadre »

Ce choix, les cordées de secours y sont également confrontées. Comme les grimpeurs envoyés dans l’Himalaya dimanche pour aider Tomasz Mackiewicz, Blaise Agresti a déjà dû renoncer à des opérations de sauvetage car le risque était trop grand pour les équipes.

Mais il estime que les situations de haute altitude sont de toute façon trop complexes pour pouvoir anticiper des réactions :

« Nous formons les gens à une grande autonomie de décision. Il faut qu’ils aient une bonne analyse des risques pour ne pas trop s’exposer, mais sur le terrain, chacun doit composer avec ses émotions, son envie de s’engager ou non. »

Des plans d’action bien établis n’aideraient pas forcément l’alpiniste à prendre une décision.

« Quand on est face à une crevasse, qu’on risque de mourir, on est hors du cadre. Même s’il ne devrait pas l’être, le choix est évidemment personnel, et parfois on abandonne. »

« Jamais préparé à la mort »

Les huit jours qui avaient été nécessaires à Stéphane Benoist pour atteindre le sommet de l’Annapurna avec son compagnon de cordée, Yannick Grazianni, avaient laissé quelques traces, des amputations après des engelures, notamment. Mais « heureusement, pas de drame », soupire-t-il.

« J’ai eu une pneumonie en altitude. J’ai senti que j’étais diminué mais je ne me suis pas dit que j’allais mourir, j’ai fait ce qu’il fallait pour rentrer chez moi, se remémore le grimpeur. C’est une aventure humaine, et c’est dans les situations extrêmes que les profils se dégagent. Souvent, on se découvre et on découvre les autres, on va plus ou moins loin que ce qu’on avait imaginé. »

S’il n’a jamais perdu de compagnon de cordée, il a « assisté à plusieurs obsèques », comme il le souligne pudiquement. « Ce n’est pas quelque chose d’anodin, la mort. On n’y est jamais préparé, mais on sait que c’est là », explique-t-il.

En parle-t-il avec son compagnon de cordée durant les ascensions ? Non. Pas plus qu’il n’établirait son testament avec sa famille. « On le met dans un coin de notre tête. On n’aborde pas la mort de manière aussi frontale. » Du moins, pas verbalement.