Lula le 25 janvier. / REUTERS

Devant le parterre des militants, il prône la désobéissance civile, jure de son innocence et s’imagine tel un « Nelson Mandela do Brasil » à même de concourir à la présidence de la République et de l’emporter malgré tout. Mais, en privé, il doute.

Jeudi 25 janvier, au lendemain de sa lourde condamnation en deuxième instance à douze ans et un mois de prison pour « corruption passive » et « blanchiment d’argent », Luiz Inacio Lula da Silva a annoncé lors du comité exécutif du Parti des travailleurs (PT, gauche) sa précandidature à l’élection présidentielle prévue en octobre.

Les recours que déposeront ses avocats lui laissent l’espoir d’une tranquillité judiciaire de quelques mois. Mais après ? Celui qui fut président de 2003 à 2010 reconnaît qu’une « chose indésirable » peut survenir. Dit plus clairement, il redoute d’être derrière les barreaux avant même le premier tour du scrutin, le 7 octobre.

Un juge de Brasilia a déjà réclamé, jeudi soir, l’interdiction pour Lula de sortir du territoire, avec confiscation de son passeport, empêchant son déplacement prévu en Ethiopie pour un débat organisé par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Une humiliation de plus pour l’ancien chef d’Etat hier star des sommets internationaux.

Le PT prétend qu’il n’a pas de « plan B » au cas où son champion serait empêché de poursuivre la course à la présidence. Cependant, l’ancien gouverneur de Bahia Jaques Wagner et l’ex-maire de Sao Paulo Fernando Haddad sont cités comme des remplaçants éventuels. Reste à savoir si le capital électoral de l’ex-président pourrait être transféré à un autre dirigeant du PT.

En tête des sondages, avec 36 % d’intentions de votes, Lula devance tous les candidats potentiels ou annoncés. Sa disgrâce rebattrait les cartes de la présidentielle. Et ses adversaires, à droite comme à gauche, voient l’horizon se dégager. En voici les principaux :

  • Jair Bolsonaro, le « Le Pen brésilien »

L’ancien capitaine d’artillerie de 62 ans, originaire de la ville de Campinas, dans l’Etat de Sao Paulo, bénéficie de 18 % d’intentions de votes, juste derrière Lula. En cas de non-candidature de ce dernier, son score grimpe à 21 %. La mort politique de l’ex-métallo serait donc une aubaine pour le député d’extrême droite qui n’a pas caché sa joie, qualifiant le jugement de « jour historique ».

Mais ce phallocrate assumé, homophobe éhonté, coutumier des outrances verbales et connu pour nourrir une nostalgie poussée de la dictature militaire (1964-1985), pourrait en réalité souffrir de l’absence de son opposant. Son ascension aussi étonnante que fulgurante a en effet été alimentée tant par l’écœurement des électeurs envers les candidats traditionnels, la crise et la persistance d’une insécurité inouïe que par la peur d’une partie du Brésil d’un retour au pouvoir de Lula, considéré par une frange des Brésiliens comme un dangereux communiste.

  • Marina Silva, l’écolo évangélique

Originaire de Rio Branco, capitale de l’Etat de l’Acre au fin fond de l’Amazonie, l’ancienne ministre de l’écologie de Lula a remporté 20 % des voix lors des deux précédents scrutins présidentiels. Femme de caractère, elle avait jeté sa carte du PT, dégoûtée par les concessions du gouvernement à l’agrobusiness. A bientôt 60 ans, elle espère vivre enfin son moment. En 2010, face à Dilma Rousseff, elle était sortie meurtrie de la bataille féroce menée contre elle par le PT.

En 2013, alors qu’elle fait campagne aux côtés d’Eduardo Campos, candidat du Parti socialiste brésilien comme vice-présidente, la mort brutale du candidat dans un crash aérien la propulse sur le devant de la scène. Aujourd’hui créditée de 10 % des voix (16 % sans Lula), cette évangélique qui a connu la faim fut domestique et analphabète jusqu’à ses 16 ans. Elle fait campagne pour son parti vert, Rede sustentabilidade. Mais ses électeurs sont troublés par sa grande discrétion.

  • Geraldo Alckmin, l’effacé

Gouverneur de l’Etat de Sao Paulo depuis 2011, l’ancien président du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, historiquement centre gauche aujourd’hui classé au centre droit), 65 ans, représente le camp de la droite républicaine. Vétéran de la politique, il est apprécié à Sao Paulo malgré les affaires louches concernant le métro de Sao Paulo et impliquant le groupe Alstom. Des rumeurs disent cet homme austère membre de l’Opus Dei, et ses contempteurs moquent son manque de charisme, le qualifiant de « sorbet au “chu-chu” », une cucurbitacée insipide.

Le vieux renard est toutefois plus habile qu’il n’y paraît : il aurait malicieusement savonné la planche de son poulain Joao Doria, maire de Sao Paulo depuis 2016, ex-étoile montante du parti, le jugeant un peu trop pressé de prendre sa place. Mais crédité de 7 % des voix, 9 % en cas d’absence de Lula, M. Alckmin ne déchaîne pas les passions. Les analystes rappellent d’ailleurs sa « performance » rare : avoir perdu des votes entre le premier et le second tour de la présidentielle en 2006.

  • Ciro Gomes, l’exalté

Crédité de 7 % des voix à l’instar de Geraldo Alckmin (12 % en cas d’absence de Lula), celui qui fut à la fois ministre du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso (PSDB) en 1994 et de Lula – de 2003 à 2006 – a navigué entre sept partis avant d’échouer au Parti démocratique travailliste (PDT, centre gauche). Mercredi 24 janvier, il s’est dit chagriné par la condamnation de son « ami » Lula. « Le Brésil vit un chapitre douloureux de sa courte et dramatique histoire démocratique », a écrit l’ancien député du Ceara, Etat du Nordeste. Des larmes de crocodiles ? Peut-être, de la part d’un homme pressenti pour représenter la gauche en cas d’absence de l’ex-métallo.

Mais Ciro Gomes a un ennemi : lui-même. Ses sorties verbales mal contrôlées lui jouent des tours. Lors de la campagne présidentielle de 2002, les regards gênés avaient accompagné ses déclarations concernant son épouse : « Ma femme a un des rôles les plus importants, qui est de coucher avec moi. Coucher avec moi est un rôle fondamental », avait-il dit, selon le quotidien Folha de Sao Paulo. En octobre 2017, Ciro Gomes a encore fait parler de lui en raillant ses adversaires, décrivant Geraldo Alckmin en « cadavre politique » et expliquant à Marina Silva que cette campagne avait besoin de « testostérone ».