A l’université panafricaine de Yaoundé, on rêve de changer le continent
A l’université panafricaine de Yaoundé, on rêve de changer le continent
Par Josiane Kouagheu (Yaoundé, envoyée spéciale)
La classe africaine (12). Mis sur pied par l’Union africaine, l’institut camerounais entend promouvoir le panafricanisme. Mais les diplômés peinent à trouver un emploi.
Dramane Sissoko a une « seule et unique » passion dans la vie : l’Afrique. Ce jeune malien de 30 ans, au visage poupin et au sourire malicieux, a grandi à Bamako, la capitale de son pays, « en pensant chaque jour à trouver des solutions franches » aux maux qui minent son continent « si jeune, si beau et si riche ».
« Ce n’est pas avec les armes et les intérêts individuels qu’on pourra avancer en Afrique, affirme-t-il, entouré de ses camarades suspendus à ses lèvres. Regardez le nord de mon pays, on peut penser à gérer la crise autrement, en ayant un dialogue franc, de fond en comble, pour emprunter un réel chemin vers le développement. On doit y penser dans tous les pays africains frappés par des guerres. »
Infographie "Le Monde"
« Servir l’Afrique »
Dramane Sissoko est étudiant à l’Institut de gouvernance, des sciences humaines et sociales (PAUGHSS) de l’Université panafricaine (UPA), logée à l’université Yaoundé II de Soa, près de la capitale camerounaise. Comme ses camarades inscrits en première année de master, Dramane est venu étudier pour « servir l’Afrique ».
Mise sur pied dès 2012 à l’initiative des chefs d’Etat et de gouvernement membres de l’Union africaine (UA), l’UPA est un réseau universitaire continental constitué de cinq instituts répartis dans cinq sous-régions africaines : Afrique centrale (Cameroun), orientale (Kenya), occidentale (Nigeria), australe (Afrique du Sud, ouvert en 2018) et du Nord (Algérie).
Au Cameroun, le PAUGHSS a deux programmes : le volet gouvernance et intégration régionale, basé à Yaoundé, et, le pôle traduction et interprétation, hébergé à l’université de Buea, dans la région du Sud-Ouest. « La finalité est de promouvoir le panafricanisme mais aussi de former, pour la première fois, des Africains en Afrique, pour penser l’Afrique et résoudre les problèmes africains », précise le professeur Joseph Ntuda Ebode, directeur du PAUGHSS, qui reçoit dans son bureau aux murs ornés de photos de l’université.
L’admission au sein de l’UPA, où la formation est gratuite, se fait sur étude de dossiers. Les candidats retenus reçoivent par la suite des billets d’avion qui leur permettent de se rendre dans leurs universités respectives. Les cours se déroulent pour l’instant en deux langues : l’anglais et le français. Le Cameroun présente la particularité d’abriter le rectorat panafricain. Mais le recteur, nommé, n’a pas encore été installé à Yaoundé.
La classe africaine : état de l'éducation en Afrique
Durée : 01:52
« Au niveau du Cameroun, nous recrutons 100 étudiants en master et doctorat par promotion. Ils reçoivent des bourses allant de 750 dollars (603 euros) pour les masters à 1 100 dollars pour les PHD [doctorats]. 20 % de ces étudiants sont des Camerounais et le reste vient des différents pays africains. 80 d’entre eux restent à Yaoundé et 20 vont à Buea », détaille le directeur qui précise que les enseignants viennent des universités camerounaises, mais aussi étrangères.
« Les Etats ne parviennent pas à s’intégrer »
En ce lundi du mois de janvier, Dramane Sissoko et ses amis, qui font partie de la troisième promotion du PAUGHSS, observent une pause après un cours sur la mondialisation. Admis pour un cycle de 24 mois (masters 1 et 2), ces étudiants qui rêvent de travailler dans des organisations sous-régionales et continentales, réfléchissent sur « la levée » des différentes « barrières » qui « fauchent » le développement de l’Afrique : guerre, pauvreté, intégration…
Lunettes sur le nez, Darcy a les yeux rivés sur son ordinateur. Juriste de formation, ce jeune burundais veut faciliter l’harmonisation des lois en Afrique. « Les Etats ne parviennent pas à s’intégrer dans plusieurs domaines. Au niveau des taxes à payer par exemple [la taxe à 0,2 % sur une liste de produits importés, appliquée pour l’instant par 26 pays africains], un Etat peut décider de les appliquer, et un autre s’y opposer. D’où les complications observées alors que les décisions ont été signées. J’aimerais participer à l’élaboration [de nouvelles taxes] et l’adaptation des textes selon les pays », rêve-t-il.
Près de lui, Jessica Mouele Aboume crispe le visage et secoue la tête, l’air agacé. Pour cette Gabonaise, les pays « hostiles à l’intégration manquent uniquement de volonté ». Pour appuyer ses dires, elle prend l’exemple de la Guinée équatoriale qui a « verrouillé » ses frontières après une tentative présumée de coup d’Etat visant à renverser Teodoro Obiang Nguema, 75 ans dont 38 au pouvoir.
« Ce n’était pas un coup d’Etat organisé par tous les pays d’Afrique centrale ! C’est uniquement l’œuvre de quelques individus. Mais, cela a freiné les efforts de nombreuses années », s’emporte-t-elle. Au premier rang, la Camerounaise Lynn Laura pense à inciter les Etats à engager une profonde réforme agricole qui pourrait encourager les jeunes à s’investir dans ce secteur.
Pas d’emploi garanti à la clé
Pour « créer la conscience panafricaniste » des étudiants, deux cours sont obligatoires à travers les instituts du continent : l’histoire de l’Afrique et la sensibilisation aux problèmes des droits de l’homme et de genre. Par ailleurs, tous les sujets de recherche (master et doctorat) doivent avoir un rapport avec l’agenda 2063 de l’Union africaine, ce plan de développement qui compte diviser par dix le nombre de pauvres et faire accéder les deux tiers des Africains à la classe moyenne.
Si Dramane réfléchit déjà au thème de son mémoire, il s’inquiète, comme ses camarades, pour son avenir. Trouvera-t-il facilement un emploi au terme de son apprentissage ? L’UPA demande bien à ses étudiants de « s’engager à servir tout Etat membre de l’Union africaine pendant une période égale au moins à la durée de la bourse après la fin de leurs études ». Mais « la mission de l’université n’est pas de trouver de l’emploi, tranche le professeur Joseph Ntuda Ebode. Cela veut tout simplement dire qu’ils ne doivent pas migrer en occident après avoir reçu la bourse [pendant cette durée]. C’est juste un engagement ».
« C’est un honneur pour nous d’étudier gratuitement, en tant que boursier, reconnaît un étudiant doctorant. Mais je pense humblement que si l’Union africaine nous forme sans assurance d’emplois, on ne sera pas différent des millions de diplômés africains au chômage. Ce qui est malheureux, car nous sommes formés pour trouver des solutions à ce chômage-là. »
Sommaire de notre série La classe africaine
De l’Ethiopie au Sénégal, douze pays ont été parcourus pour raconter les progrès et les besoins de l’éducation sur le continent.