« Centaure » : un western au cœur du Kirghizistan
« Centaure » : un western au cœur du Kirghizistan
Par Jean-François Rauger
Le cinéaste Aktan Arym Kubat utilise la dimension symbolique pour dépeindre une société dans laquelle la tradition est menacée.
Il est surnommé « Centaure ». C’est un ancien projectionniste de cinéma. Il est marié à une femme sourde et muette et père d’un gamin de 5 ans. Son plus grand plaisir est de s’emparer, la nuit venue, de chevaux de course qu’entraînent les hommes riches du coin, pour galoper dans la steppe avant de les relâcher dans la nature. Il est découvert, capturé et livré, un soir, aux autorités.
Son sort est suspendu à la décision du conseil des anciens et l’indulgence des habitants du village. Après une tentative avortée de conversion à l’islam (un moment non dénué d’humour), « Centaure » ne pourra qu’affirmer son désir irréductible d’une liberté et d’une individualité que lui refuse un monde en train de se transformer.
Centaure est une sorte de western kirghiz où les événements prennent rapidement une dimension symbolique et abstraite. S’y produit une sorte de précipité chimique où le présent se lirait à la lumière d’un passé désormais enfoui. On sent que le cinéaste Aktan Arym Kubat, peintre de formation et déjà auteur des excellents Voleur de lumière (2010) et Le Singe (2001), en interprétant ici le rôle principal du film, exprime une volonté de tenir un discours qui s’identifierait à celui de son héros. Le propos semble dépeindre, à travers le récit d’un parcours individuel, une situation en porte-à-faux avec une tradition menacée.
Une nation conquérante
Le protagoniste principal, qui conte à son fils, dont on ne sait pas s’il l’entend, les récits héroïques de l’histoire du Kirghizistan, tente, de façon peut-être dérisoire, de perpétuer le souvenir d’une nation conquérante et fière désormais soumise, on le devine, à diverses menaces de dissolution. Il y a celle que représente la loi de l’argent, celle de ces potentats locaux propriétaires d’étalons de course qui ont la loi entre leurs mains. Il y a aussi les prosélytes d’un islam politique conquérant et en même temps insidieux, bouleversant les relations entre les individus. Le souffle épique d’une mise en scène caractérisée par un usage à la fois exaltant et distanciateur de l’écran large s’allie à une manière de manier une dialectique nourrie par la justesse parfois émouvante des portraits des différents protagonistes.
Sans doute pourrait-on reprocher au film d’Aktan Arym Kubat un usage de l’allégorie parfois un peu attendu, dans ces plans de chevaux au ralenti par exemple, parfois plus habile comme cet ancien cinéma transformé en mosquée. Car loin d’être insignifiant, l’ancien métier du héros est aussi le signe de la disparition de ce monde symbolique et imaginaire qu’incarnait le cinéma lui-même, symbole perceptible à travers ces affiches oubliées de films soviétiques témoignant d’une vision idéologique désormais lointaine.
Bande annonce CENTAURE
Durée : 01:58
Film kirghiz, français, allemand et néerlandais d’Aktan Arym Kubat. Avec Aktan Arym Kubat, Nuraly Tursunkojoev, Zarema Asanalieva (1 h 29). Sur le Web : www.epicentrefilms.com/Centaure-Aktan-Arym-Kubat