L’avis du « Monde  » - pourquoi pas

So-young est une Coréenne d’âge avancé n’ayant plus d’autre ressource que celle de se prostituer. Courant les parcs de Séoul en quête de clients, elle doit son nom de « Bacchus Lady » à la boisson énergisante qu’elle échange sous le manteau, en guise de transaction. A 65 ans, So-young ne réunit plus qu’une clientèle effilochée de vieux habitués, de grabataires impotents ou de sinistres grippe-sous, soit à peine de quoi subsister. Un beau jour, elle recueille un enfant philippin jeté à la rue, ce qui soulage sa solitude mais n’arrange pas ses affaires. Ses retrouvailles avec un ancien amant hospitalisé vont l’entraîner sur la pente d’une tout autre activité : euthanasier clandestinement les vieillards souffrant de maladies graves ou incurables.

Réalisateur actif depuis les années 1990, distribué en France pour la première fois, E. J-yong pointe un phénomène de société sud-coréen, celui des femmes pauvres et délaissées, restées sur le carreau du modèle conjugal dominant. Et plus particulièrement celles qui, comme l’héroïne, tombèrent dans leur jeunesse dans les bras des soldats américains, chose considérée comme infamante.

Un pathos excessif

La position qu’occupe So-young, au bas de l’échelle sociale, en prise avec les petites misères des personnes âgées, pose une question plus large : que faire de cette population vieillissante, considérée d’un point de vue économique comme inutile ou encombrante ? Sur le ton curieux d’une comédie dépressive versant fréquemment dans une trivialité crapoteuse, le film répond en prenant le parti de la marginalité : So-young soude autour d’elle une petite communauté d’inadaptés – ses clients ou ses voisins, dont un transsexuel et un vieux garçon infirme – se serrant les coudes dans l’adversité.

Le réalisateur entend esquisser une cartographie de la marginalité séoulienne, mais celle-ci vire vite au pot-pourri

Alors que son fond scabreux réclamait un tantinet de finesse, E. J-yong choisit de forcer le trait, poussant certaines scènes vers un pathos excessif, se désintéressant de certains personnages (l’enfant philippin, que le récit rend accessoire). Le réalisateur entend esquisser une cartographie de la marginalité séoulienne, mais celle-ci vire vite au pot-pourri, oscillant entre sinistrose et folklore social sans jamais trouver de voie médiane. Par moments, The Bacchus Lady touche pourtant assez juste, par exemple lorsque la vieille prostituée se retrouve confrontée à la famille hypocrite d’un ancien client, ou tombe un soir sur un soldat américain, métis noir-coréen, lui rappelant le bébé qu’elle aurait pu avoir dans sa jeunesse.

C’est dans ces moments-là que le film nous ouvre une perspective de temps qui retrace, un tant soit peu, le parcours de son héroïne, et trouve enfin un juste équilibre entre crudité et mélancolie. Mais, à vrai dire, The Bacchus Lady vaut en premier lieu pour son interprète, la formidable Youn Yuh-jung (déjà vue chez Hong Sang-soo ou Im Sang-soo), abordant le personnage de So-young avec ce qu’il faut d’effronterie, de verve et de distance vis-à-vis de soi-même pour exprimer son humanité meurtrie, mais résolument vivante.

The Bacchus Lady de E J-yong en salles le 1er août
Durée : 01:24

Film sud-coréen de E. J-yong. Avec Youn Yuh-jung, Chon Moo-song, Yoon Kye-sang, An A-zu, Choi Hyun-jun (1 h 50). Sur le web : ascdistribution.com/project/the-bacchus-lady, www.facebook.com/ascdistribution