Les Cleveland Indians prennent leur distance avec un logo jugé offensant
Les Cleveland Indians prennent leur distance avec un logo jugé offensant
Par Luc Vinogradoff
Le visage rouge et caricatural du chef indien a orné les uniformes de l’équipe de baseball pendant soixante-dix ans. Au nom de « la diversité et de l’intégration », ils s’en débarrassent.
Des panneaux avec l’image du Chief Wahoo resteront en vente. / Tony Dejak / AP
C’était le logo de l’équipe de baseball des Indians de Cleveland depuis plus de soixante-dix ans : un visage rouge et bêtement souriant d’un chef indien avec une plume sur la tête, connu par ses fans et par ses détracteurs sous le nom de Chief Wahoo.
Cette caricature offensante a été abandonnée par la franchise, mardi 30 janvier, en accord avec la Ligue de baseball américaine (MLB). Son utilisation sur le terrain « n’est plus appropriée » dans un sport « qui veut défendre la diversité et l’intégration », a justifié Rob Manfred, dirigeant de la MLB.
« De l’argent taché de sang »
Depuis des décennies, les Indians de Cleveland font face à des manifestations régulières de groupes de défense des droits des Amérindiens réclamant l’abandon d’un logo jugé insultant. Le président de la franchise, Paul Dolan, s’est rangé à l’avis de la ligue, même si « beaucoup de nos fans ont un attachement de longue date à Chief Wahoo ».
Prendre ses distances avec une caricature clivante n’est pas une décision purement charitable pour les Indians. Chief Wahoo restera sur les uniformes jusqu’à la fin de la saison 2018 et continuera à orner casquettes, tee-shirts et autres objets vendus dans les boutiques officielles et portés dans les tribunes. Car s’il disparaissait totalement, a expliqué la direction, le logo tomberait dans le domaine public et pourrait être utilisé par n’importe qui.
L’appropriation culturelle injurieuse que dénoncent depuis des années les manifestants, même atténuée, continuera d’exister. L’équipe n’aura plus un logo d’Indien, mais continuera à s’appeler « les Indiens ». Philip Yenyo, un des opposants historiques au sein de l’American Indian Movement of Ohio, a dit à l’Associated Press être « fou de joie » après la suppression de l’image des uniformes.
« Mais en même temps, je pense que cela devrait avoir lieu dès cette année (…) Ça n’a aucun sens, sauf s’ils veulent continuer à engranger ce qui est en réalité de l’argent taché de sang. S’ils ne se débarrassent pas du nom, vous allez toujours avoir des fans aux matchs avec des coiffes et des visages peints en rouge ».
« Caricatures racistes et dénigrantes »
Aux Etats-Unis, les équipes sportives, qu’elles soient lycéennes ou professionnelles, portent toutes un surnom. Il peut être imagé — la Crimson Tide (« Vague pourpre «), de l’université d’Alabama — animalier — les Ducks (« Canards ») d’Anaheim, en hockey sur glace — ou rappelant parfois un passé doré, comme les Knicks de New York, en basket-ball (diminutif de « knickerbocker », pantalon à la mode au début du XXe siècle) ou les 49ers de San Francisco, en football américain (l’année 1849 est celle de la ruée vers l’or).
Ces surnoms sont un signe distinctif de ralliement, à l’intention des fans, et un argument marketing. Le problème se pose quand ils sont jugés blessants par une minorité, comme c’est le cas pour les très nombreuses équipes qui, comme les Indians de Cleveland, se sont inspirées des tribus amérindiennes sans leur demander leur avis.
Le National Congress of American Indians (NCAI), organisation qui défend les intérêts des Amérindiens, dit avoir « éliminé plus de deux tiers (à peu près 2 000) des mascottes sportives inspirées de la culture amérindienne (à peu près 1 000 existent encore) ». Dans un rapport sur la question datant de 2013, le NCAI considère que « plutôt qu’honorer les peuple premiers d’Amérique, ces caricatures racistes et dénigrantes contribuent au mépris des Amérindiens en tant que peuple ».
Au niveau universitaire, plusieurs institutions de petite envergure ont récemment changé de nom sous pression du NCAI et d’autres organisations. D’autres, comme les Seminoles de l’université d’Etat de Floride, ont gardé leur nom en étant soutenu par les tribus dont ils se sont inspirés.
A Chicago, l’équipe de hockey des Blackhawks, championne en 2009, 2010 et 2012, a comme logo le visage d’un chef indien. Ils ont évité la controverse par le dialogue, en expliquant que le nom, comme l’image, honore une personnalité historique (le chef Black Hawk, de la tribu des Sauk) et ne saurait être mis dans la même catégorie que des caricatures crasses comme Chief Wahoo.
L’uniforme des Chicago Blackhawks. / Nam Y. Huh / AP
L’intransigeance des Washington Redskins
Chez les équipes professionnelles, les discussions sont généralement plus compliquées et le changement plus lent. A l’image des Indians, les Braves d’Atlanta, dans la MLB, ou les Chiefs de Kansas City, dans la NFL, ont pris leur distance avec des images et pratiques douteuses : jusqu’en 1986, la mascotte des Braves, un Indien caricatural à la crête géante, officiait pendant les matchs.
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Durée : 00:07
Ils ne bougent pas, en revanche, sur le nom. « A l’origine, beaucoup de ces marques ont été créées par les propriétaires de ces équipes dans l’espoir de faire des gains financiers en moquant l’identité amérindienne, rappelle le NCAI. Ces entreprises ont perpétué l’inégalité politique et raciale. Ceux qui gardent ces logos et marques continuent à le faire ».
L’intransigeance la plus symbolique est celle des Redskins de Washington de la NFL. Le nom, qui veut littéralement dire « Peaux-Rouges », est si offensant que plusieurs médias ont décidé de ne plus l’écrire. Le propriétaire du club, le milliardaire Daniel Snyder, a juré de ne « jamais » changer ce qu’il considère comme « une médaille d’honneur ».
Un procès intenté à son encontre est allé jusqu’à la Cour suprême, qui lui a donné raison en déclarant, en juin 2017, qu’interdire une marque déposée considérée offensante par certains serait contraire à la Constitution. Pour Dan Snyder, ce jugement sonnait la fin du débat. La décision des Indians risque, à peine six mois plus tard, de le relancer.