Pour le président du Niger, « le terrorisme ne peut être vaincu seulement par les armes »
Pour le président du Niger, « le terrorisme ne peut être vaincu seulement par les armes »
Propos recueillis par Ghalia Kadiri (Addis-Abeba, envoyée spéciale), Joan Tilouine (Addis-Abeba, envoyé spécial)
En marge du 30e sommet de l’Union africaine, Mahamadou Issoufou livre sa vision du développement et son approche pour vaincre les groupes djihadistes.
Le président nigérien, Mahamadou Issoufou, pilote le dossier de la zone de libre-échange continentale pour le compte de l’Union africaine (UA). Il s’agit, selon lui, d’une nécessité et d’une étape « historique » vers une véritable intégration permettant, par une approche économique, de réduire la pauvreté et de lutter contre le terrorisme qui ravage la région. Désormais, à la tête du G5 Sahel, M. Issoufou livre en marge du 30e sommet de l’UA, à Addis-Abeba, sa vision du développement et son approche militaire, sociale et économique pour, pense-t-il, vaincre les groupes djihadistes.
Vous êtes en charge de la question du libre-échange au sein de l’Afrique. N’est-ce pas présomptueux notamment dans les régions sous la menace de groupes terroristes ?
Mahamadou Issoufou. Au contraire. Que les frontières soient ouvertes ou fermées, le terrorisme passe. Le développement exige plus d’intégration et un marché continental qui soit libéralisé au sein d’un marché commun. Regardez la carte : l’Afrique a plusieurs dizaines de milliers de kilomètres de frontières. Pourtant, le commerce intra-africain ne représente que 13 % des échanges continentaux. Car les infrastructures manquent, à commencer par les routes, et le trafic aérien est encore trop faible. Ce qui contraint l’Afrique à importer ses produits d’autres continents.
Pour revenir au terrorisme, ce manque d’intégration freine l’économie et renforce la pauvreté, de même que le chômage. Certains jeunes Africains n’ont plus d’autre choix que de fuir, au risque de mourir dans le désert ou en pleine mer. Le marché commun en Afrique peut permettre de sortir de cette situation. Mais, pour y arriver, il faut produire et lever tous ces obstacles qui entravent le commerce intra-africain.
Concrètement, que ressort-il de ce 30e sommet de l’UA à ce sujet ?
L’accord relatif à la création d’une zone de libre-échange continentale (ZLEC) sera officiellement adopté à Kigali, le 21 mars. Il s’agit d’un ambitieux projet d’intégration, historique pour notre continent, qui va pouvoir progressivement sortir de la misère. Pour le moment, la plupart des 55 Etats de l’UA sont d’accord, avec des degrés d’ouverture différents selon les pays. Certains produits sensibles sont exclus, pour des raisons sécuritaires évidentes.
Pensez-vous réellement que certains pays, très sourcilleux sur leur souveraineté et le contrôle aux frontières, vont s’ouvrir, reconnaître le passeport africain et délivrer des visas à l’arrivée ?
Chaque pays ne peut s’intégrer de la même manière. Nous devons faire évoluer ce contexte, œuvrer pour la réouverture de certaines frontières fermées depuis des décennies. Les blocs régionaux s’organisent aussi. La Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) doit avoir sa monnaie unique. A titre personnel, je suis venu à Addis-Abeba avec mon passeport africain délivré par l’UA et qui va se généraliser afin de faciliter la libre circulation des personnes.
En plein Niamey, les rails posés par le groupe Bolloré sont déjà endommagés et le projet de boucle ferroviaire qui devait relier Cotonou à Abidjan est au point mort. N’était-il pas l’un des projets phares d’intégration ouest-africaine ?
Ça me fait mal de voir ça dans ma capitale. Les jonctions des rails posés au Niger ne sont pas faites avec les autres pays. Le projet est bloqué pour l’instant car la justice béninoise a donné raison à un acteur économique qui revendique les droits sur cette boucle ferroviaire.
En tant que nouveau président du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), comment comptez-vous rendre opérationnelle et efficace cette force régionale qui manque de financement ?
C’est vrai que certains pays ne sont pas très favorables à nous financer. Nous avons des promesses de financement de la part de l’Union européenne, de la France, des Etats-Unis. Mais ce n’est pas suffisant. Nous ne désespérons pas. L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis vont également apporter leur soutien.
Nous allons continuer les plaidoyers pour convaincre les hésitants, ce qui peut prendre du temps. Mais le G5 Sahel n’a pas uniquement une dimension militaire. Là encore, la finalité est une intégration économique dans cette région sinistrée où l’on trouve des indices de développement parmi les plus faibles au monde. Le crime organisé s’est développé, se greffe parfois sur le terrorisme, et constitue lui aussi une menace sécuritaire et économique.
Cette force africaine ne risque-t-elle pas d’être isolée et donc incapable de remporter cette guerre ?
Nous avons fini par adopter une stratégie purement africaine. Nous sommes des pays fragiles mais déterminés. Il serait préférable de placer notre force conjointe du G5 Sahel sous le chapitre VII de la Charte de l’ONU, qui autorise le recours à la force. Mais les Etats-Unis n’y sont pas favorables. J’aurai également voulu que la force conjointe soit une brigade de la mission des Nations unies au Mali (Minusma) sur le modèle de la brigade mixte en République démocratique du Congo.
Certains dispositifs me semblent inappropriés et je crois qu’on se trompe de combat lorsque l’ONU déploie au Mali des opérations de maintien de la paix, qui coûtent un milliard de dollars. Ce n’est pas de paix dont il s’agit mais d’une guerre contre les groupes terroristes qui menacent l’unité du Mali et ravagent le Sahel.
Des éléments des forces spéciales américaines forment des militaires nigériens à Diffa, au sud-est du pays, menacé par Boko Haram. / ZAYID BALLESTEROS / AFP
Qu’en est-il de l’accord de paix d’Alger, signé en 2015 par des groupes du nord du Mali réticents à se désarmer, dont l’application semble tarder ?
Il n’est pas caduc. Sa mise en œuvre est conditionnée à la défaite du terrorisme. D’autant que ces mouvements qui ont signé cet accord ont été, il n’y a pas si longtemps encore, avec les groupes terroristes. D’ailleurs, certains signataires ne savent pas qui sortira vainqueur de cette guerre et semblent encore hésitants à choisir leur camp.
Etes-vous favorable à une loi de réconciliation avec les mouvements du nord du Mali ou à une amnistie, comme vous l’avez accordée à certains repentis de Boko Haram ?
C’est au Mali de décider. Au sein du G5 Sahel, notre priorité est de restaurer l’autorité de l’Etat malien sur son territoire et de faire que cet Etat reste laïc. Au Niger, nous privilégions des approches complémentaires et je crois qu’il faut promouvoir des négociations quand on le peut. Evidemment, certains mouvements sont exclus de cette approche. Notre programme de déradicalisation et de réinsertion de repentis de Boko Haram se poursuit. Nous avions lancé un appel à la reddition en décembre 2016 à ceux qui étaient disposés à déposer les armes, ce que nous n’avons pas encore fait au nord du pays.
Selon vous, la lutte contre Boko Haram peut-elle être menée à bien par la Force multinationale mixte (FMM), qui réunit les armées du bassin du lac Tchad ?
Malgré quelques revers, la tendance est à l’affaiblissement de Boko Haram et la FMM opère bien sur un terrain difficile. La guerre ne peut être remportée seulement par les armes. La naissance de ce mouvement puise sa source dans la pauvreté et l’impact du changement climatique qui a provoqué la réduction de 90 % du niveau des eaux du lac Tchad et bouleversé l’économie locale.
Nous avons un plan quinquennal de développement dans cette région et nous comptons, avec les autres pays du lac, exhumer un vieux projet : le transfert des eaux du fleuve Oubangui vers le lac Tchad via un canal créé pour l’occasion. Cela va coûter très cher mais c’est indispensable pour le développement de la région. Nous allons d’ailleurs en discuter fin février à Abuja, au Nigeria, lors d’une conférence organisée par l’Unesco et la Commission du bassin du lac Tchad.
Vous devez également contenir une menace qui vient de Libye. Comment envisagez-vous la gestion de cette crise ?
Je suis un peu désespéré. Le pays est trop divisé, tribalisé, avec des milices puissantes que je n’imagine pas accepter un désarmement. Il faut donc une force, dont j’ignore la nature, pour les combattre. A cela s’ajoute le terrorisme. J’espère un miracle. On soutient la feuille de route des Nations unies. Mais ça n’avance pas assez vite. Il faut une Constitution et des élections. Pour le moment, les parties libyennes ne s’entendent pas. Or la solution doit venir des Libyens. Si on ne règle pas le problème de la Libye, on ne pourra pas ramener la paix dans le Sahel ni combattre le djihadisme et sa pensée qui se diffuse dans la région.
Comment le Niger fait-il face à la montée de l’islam radical parfois financé par des pays du Golfe ?
L’influence de ces pays n’est pas à sous-estimer et il faut prévoir des digues. On vit une sorte de Moyen Âge de l’Islam, avec des réformes et des affrontements. Mais on en sortira tôt ou tard. Il faut mettre des garde-fous pour contenir la tendance à confessionnaliser la politique. Au Niger, certains revendiquent la charia et des groupes veulent créer des partis religieux.
Encore une fois, le développement est crucial. Nous consacrons 25 % du budget de l’Etat à l’éducation. Nous avons également renforcé l’enseignement de l’histoire des religions à l’école, gratuite et obligatoire jusqu’à 16 ans, pour mieux contrer la radicalisation. Si on n’arrive pas à donner du travail à nos jeunes de moins de 25 ans, qui représentent 75 % de la population, alors nos digues pour contrer ces forces néfastes s’écrouleront. C’est une course contre la montre.