Réforme du bac : un cadeau empoisonné à la philo ?
Réforme du bac : un cadeau empoisonné à la philo ?
La préconisation de faire de la philosophie l’une des quatre épreuves obligatoires du bac réformé semble la revaloriser, mais Thomas Schauder, qui enseigne cette discipline, s’inquiète qu’elle devienne une arme idéologique.
L’épreuve de philosophie est, chaque année, celle qui ouvre les écrits du baccalauréat. / FREDERICK FLORIN / AFP
Chronique Phil’d’actu. Trois semaines. C’est le temps prévu entre la remise du rapport Mathiot sur la réforme du baccalauréat et du lycée, le 24 janvier, et la présentation de la réforme par le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, prévue le 14 février. Une réforme aussi importante aura donc lieu dans la précipitation, en ne laissant que peu de temps à la concertation avec les représentants du monde éducatif. Or, le prof de philo que je suis ne pouvait laisser passer l’occasion de dire son inquiétude, et celle de beaucoup de ses collègues, quant à ce que ce projet semble dessiner pour l’avenir du système scolaire, en général, et de notre discipline, en particulier. Jean-Michel Blanquer a, en effet, annoncé qu’à compter de 2022 le bac comporterait « sans doute » la philosophie, parmi les deux épreuves communes à tous les élèves « dans la grande tradition française, qu’on n’a pas envie de fragiliser ».
La philosophie, en effet, semble bénéficier d’un traitement qu’on pourrait qualifier hâtivement « de faveur », puisqu’elle deviendrait la seule « épreuve universelle » (étrange manière de dire que cette épreuve serait l’une des quatre maintenues en contrôle terminal et la seule commune à toutes les options), dont le poids serait porté à 10 % dans le total pour tous les candidats (p. 14). « Un coefficient de 10 % se rapprocherait du poids de la philo en S (environ 7,5 %) et en ES (environ 11 %), contre environ 3 % en série techno », rapporte ainsi le « groupe philo » du syndicat SNES.
Certains diront donc qu’il s’agit là d’une revalorisation de la philosophie dont nous n’avons qu’à nous réjouir. D’autres que nous n’avons qu’à attendre de voir ce que cela donnera. Quant à moi, je crois plutôt que cette revalorisation n’est qu’apparente, et surtout qu’on réserve à la philo un rôle d’arme idéologique que je ne peux que dénoncer.
Un rapport « obscur et flou ».
En réalité, les calculs d’apothicaire révèlent que le poids de la note à l’épreuve de philosophie doit être relativisé : au mois de juin, les élèves auraient déjà 75 % de leur note totale et les procédures d’orientation seraient terminées. De plus, le coefficient serait bien moindre qu’il n’est actuellement pour les élèves de séries L. Dans ces conditions, la fameuse « reconquête du mois de juin » n’est plus qu’une chimère.
De plus, comme l’écrivent mes collègues de l’Association pour la création d’instituts de recherche sur l’enseignement de la philosophie, ACIREPH, le rapport « apparaît à bien des égards obscur et entretient le flou, notamment sur la question des horaires alloués à chaque discipline ». Si l’on voulait réellement revaloriser la philosophie, il faudrait augmenter le nombre d’heures, diviser les classes en groupes plus petits, permettant plus facilement d’aider les élèves en difficulté et de créer des moments d’échange et de discussion, ou encore enseigner la philosophie avant la terminale. Or, non seulement le rapport Mathiot ne préconise rien de tout cela, mais rien dans la politique gouvernementale ne semble aller dans cette direction, puisque le nombre de postes aux concours a diminué de 20 % cette année.
Ainsi, le poids de la philosophie ne me semble pas tant réel que symbolique et, paradoxalement, je pense que c’est encore plus grave.
La « barrière mentale » de l’épreuve de philo.
Si la plupart des enseignants pensent qu’il faut évaluer une matière pour que les élèves s’y intéressent, selon le bon vieux principe de la carotte et du bâton, je ne pense pas qu’un seul considère cela comme suffisant. Notre objectif, quel que soit ce que nous enseignons, est de faire aimer notre discipline, d’éveiller chez nos élèves la curiosité et la réflexion.
Or, l’un des principaux obstacles à cet éveil, en philo, c’est le « poids symbolique » de cette discipline : les préjugés concernant l’épreuve sont tels que beaucoup de jeunes découvrent la philosophie en partant du principe qu’ils échoueront. On a beau leur répéter que cette épreuve n’est pas infaisable, que la notation repose largement sur des critères objectifs, elle constitue une véritable « barrière mentale » qui exige de l’enseignant des trésors d’inventivité pour (re) donner confiance à ses élèves. Je crains que les préconisations du rapport Mathiot ne fassent qu’élever encore plus cette barrière en conférant à la philo une (trop) lourde responsabilité : en faire un déterminant essentiel de la réussite ou de l’échec d’un élève. L’important n’est pas que ce soit vrai, mais que les élèves y croient, et cela peut suffire à les en dégoûter, qu’ils renoncent avant même d’essayer ou qu’ils travaillent par obligation sans y prendre le moindre plaisir.
Il y a encore un autre élément à prendre en considération, c’est que cette « barrière mentale » est parfaitement révélatrice des inégalités sociales. Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt : les élèves qui réussissent le mieux en philo ne sont pas les très rares passionnés (hélas), mais ceux qui arrivent avec un bon capital socio-culturel, qui ont l’habitude de lire, qui vont au cinéma, au théâtre, au musée, qui s’intéressent à la politique, dont les parents encouragent la créativité, etc. Et s’ils réussissent, c’est parce qu’ils se sentent à l’aise dans cette discipline, même si elle ne les intéresse pas plus que cela. Les exceptions existent, bien entendu, mais ce sont des exceptions.
Je parlais donc « d’arme idéologique », et je le maintiens : faire de la philosophie un fétiche bénéficiera aux milieux les plus aisés et pas aux milieux populaires et, à terme, on dégoûtera de la pensée des millions de jeunes, qui deviendront facilement exploitables et manipulables…
On ne peut pas remédier à cet état de fait en exigeant plus de la philosophie tout en diminuant les moyens de l’enseigner correctement. Ce que nous visons, c’est « la formation générale de l’homme et du citoyen : à savoir le développement de la réflexion, de l’ouverture d’esprit, du jugement critique », comme l’écrit l’ACIREPH, et pour cela l’augmentation du poids symbolique de la philosophie au baccalauréat ne me paraît pas une aide, mais un obstacle.
Un manque de pensée et d’ambition
Tout n’est pas à jeter dans le rapport Mathiot, et je suis persuadé qu’il faut réformer le baccalauréat et le lycée. Mais ce qui me frappe, c’est l’absence de pensée globale sur le rôle que la société confère au système éducatif en général. Ici, le lycée n’est pensé que comme préparation au baccalauréat, qui n’est lui-même conçu que comme diplôme d’entrée dans le supérieur (p. 5-6). Comme si le lycée n’était qu’une phase de transition, et comme si la réforme de l’évaluation finale pouvait résoudre tous les problèmes (égalité des chances, « construction personnelle et civique », échec scolaire, décrochage, etc.).
On est en train de découper le problème en petits morceaux, d’ajuster et de rafistoler, le tout dans une incroyable précipitation (qui laisse à penser que les grandes lignes de la réforme étaient déjà prêtes avant la remise de ce rapport), sans prendre le temps d’un vrai débat de société. Or, l’avenir de l’école engage l’avenir de la société tout entière ! N’est-il pas problématique que, dans notre belle démocratie, il y ait si peu de débat sur les grands projets de société ? Pas de discussions entre experts plus ou moins autoproclamés : de vrais débats ?