Editorial du « Monde ». Jusqu’où le scandale du diesel s’arrêtera-t-il donc ? Plus de deux ans après la révélation que Volkswagen (VW) avait triché sur la performance environnementale de ses moteurs en les équipant d’un « logiciel trompeur », capable de modifier les résultats d’émissions polluantes en cas de test, le constructeur se retrouve au centre d’une nouvelle affaire, qui ne fait qu’ajouter la bêtise à l’infamie. Le groupe a reconnu avoir organisé des tests sur des humains et des singes pour mesurer les effets des oxydes d’azote (NOx) rejetés par ces mêmes moteurs diesel. Ce que l’on a appelé le « dieselgate » prend désormais la tournure d’un « monkeygate ».

Les tests ont été organisés dans le cadre de l’EUGT, une cellule de recherche financée de 2007 à 2017 par VW, Daimler, BMW et Bosch. L’idée était de prouver « scientifiquement » que les nouveaux moteurs étaient nettement moins polluants que les anciens. Le sordide protocole retenu pour mener l’expérience montre que la détermination des ingénieurs de la fine fleur de l’industrie allemande n’avait plus de limite.

Dans un premier temps, l’équipe de « chercheurs », basée aux Etats-Unis, un marché où VW tentait d’imposer ses motorisations diesel, avait voulu réaliser les tests sur des humains. Dans un éclair de lucidité, Thomas Steg, responsable des relations avec les autorités du groupe allemand, avait refusé. Mais avec des singes, pourquoi pas ?

En 2014, dix macaques avaient été enfermés dans une pièce pendant quatre heures afin qu’ils inhalent les gaz d’échappement d’une voiture. Le vice avait été poussé jusqu’à installer les singes devant des téléviseurs diffusant des dessins animés pour qu’ils se tiennent tranquilles.

L’affaire a pris encore un peu plus d’ampleur, le 29 janvier, lorsque la presse allemande a révélé que l’EUGT avait également procédé, entre 2012 et 2014, à des expérimentations sur des humains en les soumettant à des émissions d’oxydes d’azote trois fois supérieures aux limites légales.

Stratégie déplorable

Pendant le test, des efforts physiques étaient imposés aux « cobayes » pour vérifier si l’inhalation avait des effets inflammatoires sur les poumons. Alors que M. Steg a été suspendu de ses fonctions, ces révélations ont provoqué un tollé unanime, d’Angela Merkel à la Commission européenne, en passant par le nouveau patron de VW, Matthias Müller, qui se débat depuis deux ans pour tourner la page du « dieselgate ». Ce dernier s’est dit « atterré d’un point de vue éthique, avec la dimension historique allemande, car ces tests prétendument scientifiques n’avaient aucune valeur, juste la vocation de vendre davantage de voitures ».

L’affaire révèle l’ampleur de sa tâche : modifier en profondeur la culture d’une entreprise, qui, en voulant contourner les règles, s’est crue au-dessus d’elles. C’est le reflet de l’arrogance d’une marque, qui, avec un certain manque d’humilité, s’était choisie pour signature « Das Auto » et qui, dans le cadre du « dieselgate », a contesté la compétence de la justice française et a récusé toute tromperie.

Sûre de son avance technologique, celle-ci n’a pas hésité à déployer un lobbying douteux pour tenter de faire taire les critiques sur le diesel. Une stratégie déplorable, qui écorne un peu plus l’image de l’industrie allemande et qui ne fait que ­disqualifier davantage cette technologie en perte de vitesse. En s’asseyant sur l’éthique, VW confirme l’aphorisme de Buster Keaton : « Si l’homme descend du singe, il peut aussi y remonter. »