Pitreries, vulgarité et faux amis : l’univers extravagant de Jeremstar sur Snapchat
Pitreries, vulgarité et faux amis : l’univers extravagant de Jeremstar sur Snapchat
Par Martin Untersinger (avec Pauline Croquet)
Suivi par des millions d’adolescents, Jeremstar a construit un univers délirant, dans lequel gravitait un homme aujourd’hui accusé d’avoir abusé de jeunes fans.
C’est un joli appartement de plain-pied, niché dans un lotissement du quartier de Vacquerolles, aux confins ouest de Nîmes. A travers les portes vitrées du séjour, on voit le bleu d’une piscine et, en arrière-plan, un terrain de golf au milieu de la garrigue.
Les « Jeremstarlettes » — le surnom que donne la star des réseaux sociaux Jeremstar à ses fans — connaissent bien l’appartement de Pascal Cardonna. La plupart n’y ont pourtant jamais mis les pieds. S’il a un air familier, c’est grâce aux vidéos que Jeremstar — journaliste, youtubeur — y a tourné ces dernières années en direct sur le réseau social Snapchat. C’est lors d’une soirée organisée dans cet appartement qu’Annoir S., un étudiant montpelliérain de 18 ans, accuse Pascal Cardonna de l’avoir violé, lorsqu’il avait 15 ans.
Dans sa plainte, déposée le 22 janvier, Annoir S. affirme que Jeremstar était présent, ce que l’intéressé dément. Visé par plusieurs autres plaintes, Pascal Cardonna attaque le jeune homme pour « dénonciation calomnieuse et menace physique », affirmant, par la voix de son avocat, que celui-ci avait tenté avec trois comparses de s’introduire de force chez lui.
Après un grand déballage commencé au début de janvier sur les réseaux sociaux, c’est désormais à la justice, saisie d’au moins cinq plaintes déposées de part et d’autre, à Nîmes et à Paris, de démêler ces accusations croisées. Notamment sur ce qui s’est passé dans l’appartement de Pascal Cardonna, l’un des centres de gravité du petit théâtre donné en ligne par Jeremstar.
Sa « vie », documentée sur Snapchat
Jeremstar, de son vrai nom Jérémy Gisclon, est quasi inconnu des plus de 25 ans. Mais pour les plus jeunes, particulièrement des adolescentes, c’est une immense star. Dans son autobiographie (Jeremstar par Jérémy Gisclon, Hugo Image, 2016) il raconte que des admirateurs l’attendent à l’arrivée de ses voyages en avion et le traquent jusque dans ses chambres d’hôtel. Certains se seraient même invités à l’enterrement de son arrière-grand-mère.
Avide de célébrité, il s’est fait connaître en se déshabillant intégralement sur les plateaux de télévision, puis en se spécialisant dans les ragots de télé-réalité, notamment à travers des entretiens avec des candidats à ces émissions, réalisés dans sa baignoire. Mais c’est surtout sur Snapchat, le réseau social aux images et vidéos éphémères que l’on retrouve sur tous les smartphones d’adolescents, qu’il a assis son succès. « Snapchat m’a offert la reconnaissance dont je rêvais. Moi qui rêvais de télévision pour atteindre l’exposition totale. Quel con ! », écrit-il dans son autobiographie.
Jusqu’à ce que le scandale éclate et qu’il cesse toute activité sur les réseaux sociaux, Jeremstar alimentait des dizaines de fois par jour sa « story » Snapchat, un enchaînement de courtes vidéos visibles sur son profil pendant vingt-quatre heures. Il y documentait presque tous ses faits et gestes, agrémentés d’humour vulgaire, de saillies mordantes et de mots gentils à ses admirateurs. Ce savant mélange a fait de son compte l’un des plus suivis de France : à la fin de 2016, il se vantait d’atteindre un million de visites pour chaque story, un chiffre difficile à vérifier.
L’application le suit absolument partout — « Snapchat est le prolongement logique de mon bras » écrit-il dans son livre. Jeremstar se filme presque toujours en selfie : le décor et les personnages en arrière-plan ne servent qu’à mettre en valeur ses états d’âme, ses pitreries et ses vacheries. Sur « Snap », Jeremstar est le principal protagoniste de sa propre télé-réalité. A ses côtés, ses « amis » — en fait des personnages secondaires — sont tous gratifiés de surnoms : Pupute, Gazon maudit, Pou de pubis, Pollux, Garou, la Salopette…
Pascal Cardonna en fait partie. Les deux hommes se connaissent depuis une dizaine d’années ; M. Cardonna, qui évoque souvent Jeremstar comme l’un de ses meilleurs amis, l’a aidé au début de sa carrière, notamment en finançant en 2011 son premier DVD. Ce quinquagénaire nîmois est bien connu des fans par son pseudonyme : « Babybel », car, dixit Jeremstar dans l’une de ses stories, « sa tête ressemble au fromage quand on enlève l’écorce rouge ».
Babybel, le souffre-douleur
Dans ces vidéos, où l’on ne sait plus vraiment où s’arrête la sincérité et où commence le scénario, Babybel tient le rôle du souffre-douleur. Jeremstar le moque, le brutalise, l’humilie parfois. « Pousser à bout » Babybel est un format à part entière des stories de Jeremstar.
En août 2016, Jeremstar arrive de Paris pour passer un week-end chez Babybel. Il documente le tout dans une story Snapchat, sauvegardée depuis sur YouTube.
Stories Snapchat Jeremstar avec Babybel à Nîmes du 15/08/2016
Durée : 26:26
Après l’avoir récupéré à sa descente d’avion, M. Cardonna l’emmène visiter une bambouseraie, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Nîmes, en compagnie de deux jeunes hommes. Comme souvent, le quinquagénaire se glisse dans les habits d’un gentil organisateur bienveillant et paternel. Mais Jeremstar n’a de cesse de le ramener à sa condition de souffre-douleur. Quand « Babybel » est pris d’une envie pressante et doit se soulager entre deux arbres, Jeremstar le diffuse sur Snapchat. Peu après, il en informe son hôte d’un ton réjoui : « La séquence où tu fais tes besoins cartonne ! »
Jeremstar a du talent pour mettre en scène l’ordinaire, et ses fans ne peuvent échapper à la figure obligée du passage au supermarché avec Babybel. Le scénario est toujours le même : Jeremstar hurle des obscénités, avant de le frapper avec un concombre ou de placer une ventouse pour toilette sur son crâne. « Tu vas pas recommencer ! Tu l’as déjà faite cette scène, on connaît par cœur ! », tente Babybel dans l’une de ces stories. « Mais on adoooore, on s’en lasse pas », lui réplique Jeremstar. Généralement, ces séances d’humiliation s’achèvent avec un : « On l’adore ce vieux con ! » ou un « il faut savoir que c’était juste pour rigoler », adressés par Jeremstar à ses fans.
Dans l’ombre de Jeremstar, Babybel prend, lui aussi, la lumière : lorsqu’il accompagne Jeremstar en séance de dédicace, de jeunes adolescentes scandent son nom et se pressent vers lui pour un selfie. Et les fans imitent leur idole : quand Jeremstar leur ordonne de mettre « une claque sur le front de Babybel », ou de jouer au morpion sur son crâne à coups de marqueur, ils s’exécutent en hurlant sur cet homme dont on comprend peu à peu qu’il consent, sans que l’on sache trop pourquoi, à ces séances d’humiliation collective.
Jeremstar avec BABYBEL en DEDICACES a TOULON !
Durée : 20:32
Excessif, grandiloquent, sans pudeur, Jeremstar transforme le quotidien en farce à l’aide d’un nombre impressionnant de gimmicks vocaux, devenus quasiment un dialecte pour ses fans ; il existe même une appli, la Jeremstar box, permettant de reproduire ces sons à l’envi.
Sa chaîne Snapchat est le lieu de tous les excès. Il peut ainsi se filmer dans le salon de Babybel, en sous-vêtement, en train de se vider une bouteille de lait sur le corps en gémissant lascivement, avant de se rouler à demi-nu sur le carrelage détrempé. Ou se « marier » avec lui-même à la mairie du Ier arrondissement de Paris avec l’ancienne porte-parole de La France insoumise Raquel Garrido en demoiselle d’honneur. Ou encore de se faire épiler l’anus au rasoir par son amie, la youtubeuse Emma CakeCup, 1,3 million d’abonnés sur YouTube.
« Jeremstar n’existe pas »
Ses « vermines », comme il aime appeler ses fans et son entourage, sont-elles dupes de ce spectacle ? Rien ou presque n’est spontané sur les stories de Jeremstar. « Le Jeremstar que vous aimez n’existe pas », écrit-il dans son autobiographie :
« Jeremstar est un studio de télévision permanent. (…) Mon existence entière tourne autour de mon personnage [que] j’ai inventé dans ma chambre d’adolescent. Avec ses personnages et ses partenariats publicitaires, si mon Snap n’est pas une série télé, qu’est-ce qu’il est ? »
Jeremstar a su donner à sa fiction quotidienne un air authentique. A l’inverse de YouTube, où trouver le succès impose un montage ciselé et des images léchées, Snapchat est le média du quotidien, aux images théoriquement temporaires, qui pardonne les cadrages approximatifs ou les lumières peu flatteuses. Ses stories, pour les millions d’adolescents qui le suivent, ne sont pas si différentes de celles de leurs amis. Dans l’application, les vidéos de Jeremstar apparaissent d’ailleurs au milieu de celles-ci : pour les « Jeremstarlettes », leur idole est aussi un ami bienveillant.
Cette popularité lui rapporterait gros : dans son livre, il écrit gagner plus de 80 000 euros par mois. Les marques se pressaient pour apparaître dans ses stories, contre rétribution, tout comme celles et ceux qui voulaient grappiller quelques minutes de gloire. Dans ce milieu, apparaître sur la story de « Jerem », ne serait-ce que quelques secondes, fait la différence entre l’anonymat et un début de célébrité.
Vu de Snapchat, Jeremstar est donc entouré d’une foule d’« amis », dont Pascal Cardonna. Existe-t-il derrière tout cela une relation sincère entre eux ? Aujourd’hui, ceux qui accusent Babybel de détournement de mineur et de viol accusent Jeremstar d’avoir fermé les yeux, voire d’en être complice. L’intéressé jure ne rien savoir. « On reproche à Jérémy [Gisclon] quelque chose sur quoi qu’il n’avait aucune prise », assure la responsable de sa communication. La célébrité s’était épanchée dans son livre sur le caractère artificiel de ses relations amicales :
« Vous me voyez toujours entouré, mais la vérité, c’est que je suis seul. Désespérément seul. 80 % des gens que je fréquente le font avec pour seul but de servir leurs intérêts. »