Violentes bagarres entre migrants à Calais : Gérard Collomb s’est rendu sur place
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Calais rime désormais avec chaos. La « ville frontière », où se massent quelque 800 exilés (500 à 600 selon la préfecture), a vécu, jeudi 1er février, un « degré de violence jamais connu », de l’aveu même du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, qui a passé la nuit sur place. « Je suis venu réaffirmer notre mobilisation face aux passeurs qui nourrissent quotidiennement violences et rixes », a ajouté le ministre, en visitant le commissariat, alors que la communauté migrante comptait une vingtaine de blessés dont plusieurs touchés par balle. Quatre d’entre eux étaient entre la vie et la mort vendredi matin.

De violents affrontements entre migrants afghans et africains ont éclaté en début d’après-midi jeudi sur un lieu voisin d’une distribution de nourriture opérée par les associations. Tout a commencé par les tirs à l’arme à feu d’un ressortissant afghan, précise l’AFP, qui y lit « la thèse de la présence de passeurs sur place ». Les blessures graves de cinq jeunes Erythréens ont entraîné la riposte des Africains en soirée sur le lieu principal de distribution de nourriture, à proximité de l’ancienne jungle. « Les jeunes Oromos sont arrivés avec des barres de fer et des bâtons », observait un associatif choqué par les scènes dont il a été témoin. La police recherchait vendredi matin un ressortissant afghan qui aurait été particulièrement impliqué dans la rixe initiale.

Exacerbation de la tension générale

Depuis la visite, le 16 janvier, du chef de l’Etat, la situation se détériore un peu plus chaque jour. Les déclarations d’Emmanuel Macron ont eu deux conséquences immédiates. D’abord, les organisations humanitaires ont noté un afflux important de migrants. « A Paris et ailleurs, les exilés ont entendu que le chef de l’Etat enchaînait sa visite à Calais avec une rencontre de Theresa May, la première ministre britannique, pour un sommet franco-britannique. Ils sont donc arrivés massivement ici pour bénéficier du regroupement familial et du passage des mineurs, objet de la négociation », observe un humanitaire qui s’était déjà inquiété la semaine passée du changement d’ambiance sur ce territoire où les équilibres entre différentes communautés sont très pré­caires, mais essentiels pour ­éviter les rixes.

L’autre effet immédiat du discours du chef de l’Etat a été une exacerbation de la tension générale. Après les chaleureuses félicitations adressées aux forces de l’ordre et l’annonce de l’octroi d’une prime aux policiers de ­Calais – alors que l’inspection des polices avait souligné comme « plausibles » en octobre 2017 des « manquements à la doctrine d’emploi de la force et à la déontologie policière » –, l’écrivain et chroniqueur Yann Moix a accusé Emmanuel Macron, dans les colonnes de Libération, d’avoir instauré à Calais un « protocole de la bavure ». Dans cette lettre ouverte au président, il affirmait avoir filmé des « actes de barbarie ». Le préfet avait dénoncé des « affirmations infamantes pour les forces de l’ordre », estimant que le réalisateur confond « violences policières » et « opérations de maintien de l’ordre ».

Dans un contexte où police et gendarmerie sont mandatées pour éviter « tout point de fixation », la frontière entre les deux semble en effet poreuse. « Tous les matins, depuis quatre jours, les forces de l’ordre “désquattent” tout de A à Z », observe ainsi Jean-Claude Lenoir, le président de l’association Salam. Cela signifie qu’ils démantèlent tout semblant d’abri de fortune, confisquant du même coup les biens des migrants, au prétexte qu’ils sont abandonnés, puisque ces derniers fuient rapidement à l’arrivée d’un uniforme.

Plainte d’associations

Le Monde avait été témoin, le 6 décembre 2017, d’une de ces « opérations désquattage » durant laquelle les affaires personnelles d’un groupe de migrants réveillés par les forces de l’ordre avaient été jetées à la benne à ordures, et des associations ont porté plainte pour la destruction d’effets leur appartenant. Depuis, la préfecture a annoncé un dispositif de récupération des sacs, mais jeudi, les exilés devaient « présenter une pièce d’identité pour pouvoir le faire », comme a pu l’observer Vincent de Coninck, du Secours Catholique. En conséquence, « ils sont de plus en plus nombreux à enterrer leurs affaires personnelles, comme des animaux, pour éviter de se retrouver dans cette situation », déplorait jeudi l’humanitaire.

Les migrants qui tentent le passage en Grande-Bretagne refusent en effet le dispositif de mise à l’abri mis en place par l’Etat sous forme de deux centres d’accueil et d’examen des situations, ouverts après injonction du Conseil d’Etat en juillet 2017. Ces lieux se trouvent loin de Calais et l’examen des situations administratives qui aboutirait au renvoi d’une très large part d’entre eux vers un autre pays européen, au nom de l’application des accords de ­Dublin, les dissuade d’y aller.

Dans ce contexte, rendu plus difficile encore par le froid et la pluie, la population migrante de Calais a atteint un épuisement total qui « redonne du pouvoir aux passeurs », note M. Lenoir, « puisque les jeunes migrants veulent fuir à tout prix » ce lieu invivable. Fort d’une connaissance historique du lieu, cet ancien enseignant estime que l’Etat se fourvoie et rappelle que des politiques purement répressives, « ont déjà été tentées par d’autres gouvernements depuis vingt ans, mais ont toujours fait la preuve de leur échec ».

Le milieu associatif calaisien s’inquiète globalement que la seule réponse apportée au problème soit une nouvelle fois l’augmentation du nombre de forces de l’ordre affectées au lieu etdéjà supérieur au nombre de migrants. Rebondissant sur la promesse de M. Macron le 16 janvier, Gérard Collomb a indiqué vendredi : « Dans les quinze prochains jours, nous serons capables de prendre en charge la distribution des repas. » Ila par ailleurs « fait appel au bon sens des associations : il ne peut y avoir d’organisation sauvage ».