Dans l’hypermarché Carrefour de Montreuil, l’espoir d’une mobilisation nationale
Dans l’hypermarché Carrefour de Montreuil, l’espoir d’une mobilisation nationale
Par Valentin Ehkirch
A l’appel de la CGT, des manifestants s’étaient donné rendez-vous lundi pour protester contre le plan de restructuration annoncée dans le groupe.
Le cortège circule entre les fruits et légumes, passe devant les produits surgelés. Plusieurs dizaines de manifestant bloquent rapidement les caisses et des drapeaux aux couleurs de la CGT dépassent des rayons. L’organisation syndicale avait prévu, lundi 5 février au matin, une première action de blocage de l’hypermarché Carrefour de la porte de Montreuil, à la lisière de Paris et de la Seine-Saint-Denis.
Les manifestants de la CGT ont bloqué durant plusieurs dizaines de minutes les caisses de l’hypermarché Carrefour de la Porte de Montreuil, pour protester contre le plan de restructuration annoncé par l’entreprise. / REGIS DUVIGNAU / REUTERS
Le lieu est stratégique. Le siège du syndicat national est à quelques pas, et son secrétaire général, Philippe Martinez, est attendu pour le lancement d’une semaine de mobilisation du 5 au 10 février. Philippe Allard, délégué CGT chez Carrefour, l’avait annoncé à la sortie d’une réunion au ministère du travail la semaine dernière, son syndicat ne « négociera pas. Il se battra pour qu’il n’y ait pas de plan ».
Car depuis l’annonce d’une importante transformation du groupe, faite le 23 janvier par Alexandre Bompard, le PDG de Carrefour, l’inquiétude monte chez les salariés. Un plan de départ volontaire a été annoncé, qui concerne 2 400 salariés au siège du groupe, mais les syndicats estiment qu’il pourrait toucher plus de 5 000 personnes.
Ce jour-là, à Montreuil, les manifestants viennent de toute la France. De Lille, Marseille, de Bretagne, ou encore de Lyon, le mot est passé parmi les salariés du groupe. Une délégation venue de Belgique a même fait le déplacement. Carrefour, qui est également implanté dans ce pays, a annoncé, deux jours après la restructuration française, un plan d’ampleur similaire en Belgique.
« Pas d’augmentation de salaire, mais une diminution des effectifs »
Echarpe rouge autour du cou, badge CGT sur la veste, Laurent Lamaury est employé au rayon fruits et légumes dans un Carrefour Market de Verrières-le-Buisson en Essonne. Egalement délégué syndical national, il est venu soutenir la mobilisation à Montreuil pour « dénoncer le plan Bompard ». « On observe depuis un moment la baisse des heures travaillées, et les mises en location-gérance qui s’accélèrent. » Ce dernier point est l’une des inquiétudes majeures des salariés de ces magasins : « Avec la location-gérance, les avantages dont on bénéficiait peuvent être renégociés au bout de quinze mois, et on risque de les perdre. »
« Ce qui nous fait peur c’est que l’on ne parle pas d’augmentation de salaire, mais de réduction des effectifs », lâche de son côté Isabelle Daroux. Elle travaille depuis vingt ans dans l’hypermarché de la porte de Montreuil, et est déléguée du personnel depuis seize ans. « Rien qu’ici, en seize ans, on a perdu plus de 100 salariés. Il y avait 360 salariés quand je suis arrivé, à l’heure actuelle nous en avons 257. » Selon elle, la direction de l’établissement n’informe pas les salariés des mesures de restructuration à venir. « Pour le moment je ne crois pas qu’il y ait un plan de départ volontaire, mais ce genre de chose on l’apprend au dernier moment », confie-t-elle.
Isabelle Daroux est toutefois sure d’une chose : plusieurs postes vont disparaître au sein du magasin de la porte de Montreuil. « Il y a quatre postes qui sautent au niveau de la comptabilité, et cinq autres au rayon électroménager », recense-t-elle.
Une société « où l’on se parle »
Soudain, un attroupement se forme à l’entrée du magasin. Philippe Martinez s’approche des salariés du groupe, suivi d’une nuée de caméras, de micros et d’appareils photos qui se déplace en bousculant les étalages. L’opération médiatique est réussie.
Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, est venu soutenir les manifestants, lundi 5 février. / REGIS DUVIGNAU / REUTERS
Le secrétaire général est venu dénoncer « ce que certains appellent “le besoin de se moderniser” ». Il poursuit dans un micro qui crépite : « Mais ce que veut Monsieur Bompard, c’est ce que veulent les actionnaires. » Mesure phare de la restructuration, la mise en place de caisses automatiques et le développement de l’e-commerce est fustigée par Philippe Martinez : « On parle beaucoup de numérique, mais il a bon dos ! » lâche-t-il, avant d’appeler à une « société où l’on se parle ». Un peu plus loin, Alexis Corbière, député (La France Insoumise) de Seine-Saint-Denis, est lui aussi venu apporter son soutien.
Le mouvement est censé prendre de l’ampleur. La CGT annonce vouloir mener des opérations similaires dans différents points de vente Carrefour en France, et FO prévoit de manifester jeudi devant le siège social de l’entreprise à Massy, dans l’Essonne.
Une trentaine de minutes après le début de l’opération, le calme est revenu aux abords des caisses, et les salariés qui ne manifestent pas continuent de travailler à la mise en rayon des produits. A l’écart du mouvement, l’un d’eux confie discrètement ne pas vouloir prendre part à la mobilisation. Après près de dix ans de service au sein de l’hyper de Montreuil, il approche de la retraite. Il se « dit inquiet pour les autres, ceux qui ont encore plusieurs années de travail », mais reconnaît : « On a besoin d’une restructuration ; si Carrefour ne se modernise pas, il est cuit. »