Des milliers de personnes participent à une manifestation populaire organisée à la demande du président du conseil exécutif de l'Assemblée de Corse Gilles Simeoni et du président de l'Assemblée de Corse Jean-Guy Talamoni, le 03 février 2018 à Ajaccio, trois jours avant la venue du Président Emmanuel Macron dans l'île. / OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR LE MONDE

Le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, est attendu, mardi 6 et mercredi 7 février, en Corse. Une visite dont les contours sont encore flous, quelques jours après une manifestation appelée par les dirigeants nationalistes, visant à faire entendre leurs revendications. Retour sur leurs principales propositions, de l’amnistie pour les « prisonniers politiques » à l’inscription de la collectivité dans la Constitution.

Lire l’analyse (en édition abonnés) : En Corse, les chemins du dialogue
  • L’amnistie pour les « prisonniers politiques »

Le dossier est sensible, mais il revient régulièrement sur la table. Les nationalistes corses ont longtemps demandé l’amnistie pour les « prisonniers politiques », les détenus corses soupçonnés d’être mêlés à des affaires de terrorisme. Parmi eux, on trouve notamment Pierre Alessandri, Alain Ferrandi et Yvan Colonna, condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’assassinat du préfet Claude Erignac, en 1998.

« Le terme de prisonnier politique n’apparaît pas juridique, ce sont des personnes condamnées pour une ou des infractions prévues par la loi », rétorque le porte-parole du ministère de la justice, Youssef Badr. Le nombre de détenus corses incarcérés en lien avec des affaires terroristes n’est pas connu, précise par ailleurs la chancellerie.

L’option qui est généralement discutée est celle d’un « rapprochement familial » des détenus corses qui demandent un transfert en Corse. Sur ce sujet, chaque dossier est étudié au cas par cas, « il n’y a pas d’opposition de principe […], mais pas non plus de droit acquis », souligne Youssef Badr.

« Actuellement, la chancellerie examine en effet plusieurs situations individuelles de détenus corses qui ont sollicité leur transfert en Corse », ajoute le porte-parole du ministère de la justice. Dans une tribune publiée jeudi dans Le Monde, le maire d’Ajaccio, Laurent Marcangeli, soutient cette option : « Concernant le sort des détenus, j’ai toujours défendu le principe du rapprochement, dans leur ensemble, lorsque j’étais parlementaire. »

Lire la tribune de Laurent Marcangeli (en édition abonnés) : « Oui à un nouveau statut pour la Corse, mais dans la République »
  • La coofficialité de la langue corse

La langue est l’un des plus grands points de discorde entre Paris et Ajaccio. Les nationalistes demandent la coofficialité de la langue corse sur le territoire insulaire, c’est-à-dire « l’insertion de la langue corse au sein du système juridique, par la création de droits linguistiques territoriaux et d’obligations pour tous les pouvoirs publics sur le territoire », selon un rapport du président du conseil exécutif publié en 2013.

Ce rapport préconisait notamment de « normaliser et encourager l’emploi du corse dans les collectivités locales, l’administration, l’enseignement, les médias, les industries culturelles, le monde socio-économique et sportif ». Une coofficialité signifierait notamment que la langue corse est « employée à parité avec le français par l’Etat et les services publics en Corse, ainsi que par les entreprises et les médias institutionnels ». Les documents d’identité seraient rédigés en français et en corse. Pour Jean-François Poli, docteur en droit et avocat au barreau de Bastia, cette mesure peut être possible tant qu’une égalité est maintenue et que le corse n’est pas préféré au français.

L’enseignement bilingue à l’école deviendrait obligatoire, tout comme l’obtention par les élèves d’un certificat B2 en corse à l’issue de leur scolarité. Le rapport du président du conseil exécutif préconise également une obligation statutaire de formation en langue corse pour le recrutement des fonctionnaires et agents publics. Il en irait de même pour les personnels des médias publics. Si ce certificat introduit une discrimination dans l’accès à la fonction publique, cela posera problème, estime Me Poli. « On peut introduire une discrimination, mais au motif qu’elle servirait l’intérêt général », ajoute-t-il.

Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre de l’intérieur et « Madame Corse » du gouvernement, l’a récemment répété : « La langue de la République française est le français. » La coofficialité n’est « pas envisageable », pour celle qui fait le lien de discussion entre Paris et Ajaccio.

  • Le statut de résident corse

Les nationalistes au pouvoir demandent également la création d’un statut de résident, pour lutter contre la spéculation immobilière. Un texte polémique avait été proposé dans ce sens en 2014 : il s’agissait d’instaurer l’obligation d’avoir été résident permanent en Corse pendant au moins cinq ans pour pouvoir devenir propriétaire sur le territoire insulaire. Le groupe Corsica libera, qui milite pour cette mesure, demandait de son côté une période de dix ans de résidence permanente. En cause, une flambée des prix de l’immobilier. En 2013, environ 35 % des logements en Haute-Corse étaient des résidences secondaires ; 37,6 % en Corse-du-Sud, selon l’Insee. « Les Corses sont contraints de quitter la Corse, ils partent sans espoir de retour », avait argué à l’époque Jean-Guy Talamoni.

« Tout près, vous avez une maison en pierre, elle est en vente à 276 000 euros depuis un an et demi, et aucun des jeunes ici n’a les moyens d’acheter. Si demain les prix continuent à monter, tout notre patrimoine sera acheté par des gens de l’extérieur », expliquait sur France Inter, en janvier, le maire du village de Cuttoli-Corticchiato, Jean Biancucci. Pour le maire d’Ajaccio, un statut de résident serait au contraire « une rupture disproportionnée » et « une atteinte inacceptable au droit de propriété ».

Cette mesure a été jugée contraire à la Constitution par de nombreux juristes, puisqu’elle crée une discrimination quant à l’accès à la propriété. Ce statut « ne sera possible qu’avec l’insertion dans la Constitution d’un dispositif pour la Corse », a estimé vendredi Jean-Guy Talamoni dans Corse Matin.

  • L’inscription dans la Constitution

Dans un rapport remis le 18 janvier à la collectivité de Corse, la professeure de droit public Wanda Mastor, qui avait participé à une précédente étude en 2013, défend l’inscription de la Corse dans la Constitution, et un nouveau statut pour la collectivité, lui donnant plus d’autonomie, mais qui « n’entraverait pas le principe de l’indivisibilité de la République ». « Il est impensable que la Corse en reste à un statut hybride et silencieux », estime-t-elle. Le territoire insulaire reste aujourd’hui encore une collectivité à statut particulier. « Il est indécent, illogique et insultant que la Corse ne soit pas mentionnée dans le texte suprême », estimait le constitutionnaliste Guy Carcassonne dans un précédent rapport, en 2013.

En inscrivant la Corse dans la Constitution, le rapport plaide pour un élargissement des pouvoirs de la collectivité. Wanda Mastor juge qu’une telle réforme est d’autant plus légitimée par la victoire nationaliste aux dernières élections territoriales. Selon la juriste, le nouveau statut de la Corse pourrait notamment lui attribuer des spécificités dans trois secteurs-clés : « le foncier, la fiscalité et la langue ». En 2013, la collectivité demandait, par exemple, plus de compétences en ce qui concerne la fiscalité des biens situés en Corse, une proposition censurée par le Conseil constitutionnel.