Emmeline Pankhurst (1858-1928), l’une des fondatrices du mouvement des suffragettes britanniques, à Trafalgar Square, à Londres, le 11 octobre 1908. Son nom est associé à la lutte pour l’émancipation des femmes dans la période immédiatement après la première guerre mondiale. / - / AFP

Le 6 février 1918, une réforme électorale au Royaume-Uni accordait aux femmes un droit de vote — limité. Il ne s’agissait pas d’une véritable première dans l’histoire mondiale : la Suède avait déjà accordé ce droit aux femmes, mais entre 1718 et 1771 seulement. Il s’agissait, néanmoins, d’une première parmi les grandes puissances du début du XXe siècle, et d’une avancée vers l’égalité hommes-femmes.

Quelle est l’origine de ce droit de vote accordé aux femmes ?

Tout, ou presque, est parti du Great Reform Act, qui, en 1832 en Grande-Bretagne, exclut les femmes du corps électoral en définissant les votants comme des « personnes mâles ». La même année, une pétition sur le suffrage des femmes était présentée au Parlement.

Mais il faudra attendre 1867 pour voir le premier débat sur le vote des femmes se tenir au Parlement. Le philosophe John Stuart Mill en est alors le principal relais.

En 1889, la Ligue pour le suffrage des femmes — Women’s Franchise League — est créée. Elle vise à obtenir le vote pour les femmes mariées, de même que pour les célibataires et les veuves. Un mouvement de masse s’organise et les féministes sont capables de réunir deux cent cinquante mille signataires en 1894.

En 1897, l’Union nationale des sociétés de suffrage des femmes — National Union of Women’s Suffrage Societies (NUWSS) — est créée et dirigée par Millicent Fawcett (1847-1929). Elle rassemble sous une même bannière des groupes de campagne pacifiques.

Emmeline Pankhurst, chef du mouvement des suffragettes, est arrêtée devant le palais de Buckingham, à Londres, alors qu'elle tentait de présenter une pétition au roi George V, en mai 1914. / Imperial War Museum/Public Domain

Bloqué par la frange conservatrice du Parlement, le mouvement se radicalise en 1903 avec la création du Syndicat social et politique des femmes — Women’s Social and Political Union — par Emmeline Pankhurst (1858-1928).

Ses militantes, désignées sous le nom de « suffragettes », optent pour de nouvelles formes d’action, parfois violentes et illégales (incendies volontaires, bris de vitre, grèves de la faim, etc.). Le bras de fer engagé avec les autorités dure jusqu’au début de la première guerre mondiale (la Grande-Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne le 4 août 1914). Pendant ces quatre années de guerre, on estime que deux millions de femmes ont remplacé les hommes dans des emplois traditionnellement masculins.

Des négociations sont ouvertes en 1918 par le gouvernement Asquith avec les représentantes de la NUWSS de Millicent Fawcett, qui présente une orientation plus modérée. Elles aboutissent au Representation of the People Act (loi de 1918 sur la représentation populaire) du 7 février 1918.

Que disait la loi de 1918 ?

Le Representation of the People Act 1918, parfois surnommé « Fourth Reform Act » (quatrième loi de réforme), est une loi du Parlement du Royaume-Uni, votée le 6 février 1918, à la base du système électoral moderne du pays. Les principales dispositions sont l’établissement du suffrage universel masculin (les hommes pouvaient, eux, voter dès l’âge de 21 ans) et du suffrage censitaire pour les femmes de plus de 30 ans.

Ce suffrage censitaire s’applique seulement aux propriétaires terriennes ou locataires — ou dont le conjoint l’est — ayant un loyer annuel supérieur à 5 livres sterling, ainsi qu’aux diplômées d’universités britanniques. La loi élargit également le nombre de votantes aux élections locales, pour lesquelles une faible minorité de femmes pouvait déjà voter.

Pourquoi cette loi fixait-elle un seuil à 30 ans pour les femmes ?

Cette réforme, qui a permis à 8,47 millions de femmes britanniques (soit 39,6 % de l’électorat) de s’inscrire sur les registres électoraux, a représenté un progrès considérable en matière de droits politiques. Toutefois, la limite d’âge à 30 ans fixée pour les femmes faisait que les hommes formaient 60 % de l’électorat.

Ce seuil d’âge n’était pas anodin : il avait pour objectif d’éviter que les femmes ne deviennent majoritaires dans le corps électoral. Si les femmes avaient été émancipées sur la même base que les hommes, elles auraient été majoritaires, en raison des pertes d’hommes pendant la guerre de 1914-1918.

Qui fut la première femme à siéger au Parlement ?

Les élections générales britanniques de 1918 se sont déroulées le 14 décembre, un peu plus d’un mois après la fin de la première guerre mondiale. Elles suivent le Representation of the People Act 1918 : 8,5 millions de femmes ont le droit de vote.

En Irlande, le Sinn Féin d’Eamon de Valera remporte soixante-treize des cent cinq sièges à pourvoir, principalement au détriment du Parti parlementaire irlandais, qui ne remporte que sept sièges. Les soixante-treize députés du Sinn Féin refusent de siéger à la Chambre des communes.

Parmi eux se trouve Constance Markievicz, première femme élue à la Chambre des communes, mais qui n’y a jamais siégé. Nationaliste irlandaise, elle est alors en prison. C’est Lady Nancy Astor, du Parti conservateur, qui devient la première femme à siéger à la Chambre des communes, en 1919.

Quand l’égalité complète advint-elle ?

L’égalité en matière de vote entre les hommes et les femmes sera établie dix ans plus tard, en 1928, par l’Equal Franchise Act (« loi sur le suffrage égal »), lorsque les femmes seront autorisées à voter dès 21 ans. Soit 15 millions de femmes.

En 1929, la travailliste Margaret Bondfield devint la première femme à diriger un ministère (celui du travail).

Quid du droit de vote des femmes dans les autres pays ?

Les grands Etats qui suivirent l’exemple britannique en matière de droit de vote des femmes furent notamment les Etats-Unis, à l’échelle fédérale, en 1919. En France, les femmes n’obtinrent ce droit qu’à la fin de la seconde guerre mondiale : le 21 avril 1944, l’article 17 de l’ordonnance portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération dispose que :

« Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. »

Le premier vote des femmes à des élections municipales a lieu les 29 avril et 13 mai 1945. Le premier vote dans un scrutin national (référendum et Assemblée constituante), le 21 octobre 1945.

A cette occasion, trente-trois femmes seront d’ailleurs élues membres de l’Assemblée nationale constituante. Soit près de cent soixante ans après la Déclaration des droits des femmes de septembre 1791 d’Olympe de Gouges, où elle écrivait, dans son article 10 :

« La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune. »

Elle ne bénéficia malheureusement que du premier « droit », puisqu’elle est morte guillotinée, à Paris, le 3 novembre 1793.

Les droits des femmes dans le monde

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