« England Is Mine » : la rock star en son cocon
« England Is Mine » : la rock star en son cocon
Par Thomas Sotinel
Le réalisateur Mark Gill dresse un portrait de Stephen Morrissey, âme des Smiths, en adolescent.
Naît-on rock star ou le devient-on ? Cette variante du débat sur les rôles respectifs de l’inné et de l’acquis a déjà donné quelques films. Dans Nowhere Boy (2010), Sam Taylor-Wood mettait en scène l’adolescence de John Lennon comme une succession de présages de la gloire à venir. D’innombrables documentaires, dont Joe Strummer : The Future Is Unwritten (2007), de Julien Temple, ont adopté une position plus prudente, confrontant les images du rebelle à guitare à celles du petit garçon bien peigné. L’audace – et la limite – d’England Is Mine est de prendre pour héros un garçon qui n’arrive pas à trouver en lui la rock star dont il soupçonne l’existence, ne serait-ce qu’à l’état larvaire.
Le premier long-métrage de Mark Gill est en réalité la chronique d’une jeunesse d’une extrême banalité, empreinte d’incertitude et d’ennui, au risque de communiquer ces impressions au public. A moins, bien sûr, que celui-ci ne soit fan des Smiths et de Morrissey.
Vivre son mal-être
Dans ce cas, les vues rêveuses de Manchester que capte le chef opérateur Nicholas D. Knowland, la mine tantôt ahurie, tantôt méprisante de Jack Lowden, qui tient le rôle de Steven Patrick Morrissey (qui ne sait pas encore qu’il va abandonner ses prénoms pour devenir le chantre d’une nouvelle façon de vivre son mal-être) deviennent des éléments dont on retrouvera des traces dans l’œuvre à venir.
Steven Patrick vit dans un foyer désuni, fait le désespoir de son père et l’admiration de sa mère. Il est le descendant des jeunes gens que Lindsay Anderson, Tony Richardson ou Karel Reisz ont mis en scène au début des années 1960. Mais, au lieu de claquer sa paie avec ses copains à Brixton ou Blackpool, ce jeune homme-là s’offre un billet pour le concert des Sex Pistols au printemps 1976, celui qui provoqua, dans les semaines qui suivirent, la formation des Buzzcocks et du groupe qui devint ensuite Joy Division.
Morrissey avait besoin d’une période de latence, et il lui fallut presque un lustre pour passer à l’acte. Entre-temps, entouré de femmes – sa mère, sa sœur, ses amies (le film reste très discret quant à l’orientation sexuelle de l’artiste) –, il se réfugie dans une contemplation affligée du monde qui l’entoure. Cette description minutieuse et souvent drôle de l’aboulie adolescente évoquera de lointains souvenirs et des tourments contemporains aux enfants et aux parents.
England Is Mine ne parvient toutefois pas à percer le mystère des forces qui tirèrent ce garçon timide de sa chambre pour le précipiter sur les scènes du monde entier. A en croire Mark Gill, sa carapace s’est érodée sous le flot d’adulation presciente que ses intimes (dont le cercle ressemblait déjà à un fan-club) ont déversé sur le garçon. L’histoire est sûrement plus complexe, et la trajectoire de Morrissey, la rock star, a amplement démontré les contradictions du personnage, sa sensibilité et sa brutalité. Si l’énigme reste entière, il restera aux nostalgiques l’évocation d’un temps où le rock était encore une musique de jeunes.
Film britannique de Mark Gill. Avec Jack Lowden, Jessica Brown Findlay, Jodie Comer, Katherine Pearce (1 h 34). Sur le Web : www.bodegafilms.com/film/england-is-mine